30e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

La semaine dernière, à la sortie d'une de nos célébrations dominicales, une paroissienne me partagea cette expérience : " Philippe, il y a quelques jours j'ai rêvé de toi et tu étais devenu le premier homme à avoir été canonisé de son vivant ". Aussitôt, je me suis tourné vers son mari lui présentant mes excuses d'être entré de la sorte dans un des rêves de son épouse tout en espérant qu'il n'était pas trop jaloux de cette situation. Puis, je me suis moi aussi mis à rêver. Et si ce rêve était vraiment prémonitoire, même si au fond de moi je sais que cela ne se réalisera jamais. Je me connais trop bien pour ne pas pouvoir revendiquer un tel statut. Mais quand même. Vous imaginez : saint Philippe Cochinaux    . Je me vois assez bien comme saint patron des gastronomes. Des médailles frappées à mon effigie pourraient vous être proposées. Ma tête pendrait à vos cous et je pourrais me voir tout en vous souhaitant une bonne semaine à la sortie de nos églises. Je souriais ensuite à l'idée de savoir que mes propres frères dominicains devraient célébrer ma fête en ma présence qui serait, bien évidemment, humble et discrète comme doit se conduire tout saint.

Un tel rêve, si je l'avais pris au sérieux aurait pu me conduire à devenir non seulement fier mais orgueilleux. Il est vrai que l'orgueil peut se manifester de tellement de manières différentes. Il y a d'abord l'orgueil de la suffisance, c'est-à-dire vivre avec cette conviction intime que nous sommes mieux que les autres car nous ne voyons que nos qualités et nous nions nos vulnérabilités. Il y a également l'orgueil de la possession comme si pour exister j'avais besoin d'avoir la plus belle voiture, la plus belle maison, le plus beau métier.

Or tout cela, je ne l'emporterai pas avec moi lors du grand voyage vers la vie éternelle. Ensuite, nous pouvons être à ce point marqués par un désir de reconnaissance que nous en devenions orgueilleux. Nous rendons un ensemble de services, nous donnons beaucoup de temps aux autres mais ces derniers sont instrumentalisés car ils permettent un objectif moins louable, celui de notre propre reconnaissance. L'altruisme n'est qu'une façade car dans cette situation, nous attendons d'être approuvés, voire félicités pour toutes nos actions. Je suis devenu la raison d'être de ce que je fais. Pareillement, il y a la fausse humilité, c'est-à-dire ce besoin de s'abaisser, de se diminuer, voire de se dénigrer pour que l'autre puisse rejeter nos propos et nous encenser en disant ô combien tout ce que nous faisons est merveilleux. Parfois, nous vivons aussi avec ce désir de laisser une trace dans l'espérance qu'il y aura toujours un " après nous ", un souvenir dans la mémoire de celles et ceux qui nous ont rencontré. Vouloir marquer son époque peut également conduire à l'orgueil. Ces différentes attitudes orgueilleuses empêchent souvent une relation vraie. Elles interrompent toute forme de communication puisque la rencontre n'est plus possible. Nous sommes enfermés en nous-mêmes, en nos certitudes et préjugés.

Il en va ainsi avec la parabole de l'évangile. En effet, nous percevons souvent le pharisien en riche suffisant, prétentieux et orgueilleux et le publicain en pauvre et humble. Or à l'époque du Christ c'était plutôt l'inverse, le riche était le publicain qui se payait sur les impôts alors que le pharisien vivait souvent dans un état plus précaire. Dès lors dans cette parabole, c'est le riche qui est humble et le pauvre qui est orgueilleux. Cela va à l'encontre de certaines de nos idées bien arrêtées. Quoiqu'il en soit, l'orgueil tue toute relation humaine puisque celle-ci est fondée sur le mensonge. Pour que nous puissions vraiment rencontrer l'autre, et peut-être un jour l'aimer, nous avons besoin de lui offrir le tout de notre être, qualités et défauts compris. La vérité de la vie passe par cette acceptation réciproque de notre réalité humaine. S'il en est ainsi entre nous, il en va de même avec Dieu.

Heureusement pour nous alors que Celui-ci ne voit que le c½ur. Il n'a que faire de nos réalités extérieures. Cela lui importe peu. Par contre, il ne supporte pas nos attitudes prétentieuses, orgueilleuses, c'est-à-dire certaines comparaisons que nous pourrions utiliser pour descendre l'autre tout en nous élevant à nos yeux. Dans l'intimité de la rencontre divine, au plus profond de notre être, la vantardise n'a plus de mise. Dieu est plus grand que notre c½ur et il connaît toute chose dira saint Jean dans une de ses lettres. La force de la prière est de pouvoir être pleinement soi sans pour autant être plein de soi. L'obésité de l'ego, à l'instar du pharisien de l'évangile, empêche la rencontre. En effet, si je suis plein de " moi ", à ce point suffisant, je n'ai plus besoin de Dieu. Je ne lui offre plus aucun espace en moi pour qu'il vive. Alors, si nous nous sentons parfois envahis par de tels sentiments de plénitude de suffisance, le Fils de Dieu nous convie à faire un régime, non pas pour nous diminuer mais afin de tout remettre à sa juste place. De la sorte, le Tout Autre pourra à nouveau trouver en nous le lieu de notre c½ur pour vivre ce temps d'intimité, ce temps c½ur à c½ur dans l'Esprit.

Amen.