2e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

COMMENT FAIRE LE PASSAGE ?

En rédigeant son évangile dans les années 85, Luc prend soin de préciser qu'il ne raconte pas une fable mythologique, une légende à portée morale ou spirituelle. Ses personnages ont bel et bien existé et sont situés dans l'histoire du monde: cela se passait, dit-il, dans la 15èmeannée de Tibère, successeur d'Auguste et empereur de 14 à 37; Ponce Pilate était préfet de Judée (26 à 36) - comme l'atteste l'inscription sur la pierre découverte à Césarée en 1961 ; Hérode Antipas, fils d'Hérode le Grand, gouvernait la Galilée (-4 à 39) et son frère Philippe, l'Iturée (-4 à 34) ; un certain Lysanias dirigeait la région d'Abilène, au nord-est d'Israël (serait-ce le pays de Luc ?). Au plan religieux, le grand prêtre Hanne avait été déposé et son gendre, Caïphe, exerçait la fonction suprême au temple de Jérusalem (de 18 à 36).
A partir de ces notations chronologiques, le moine Denys, au 6ème siècle, fixa l'année de naissance de Jésus afin d'établir le calendrier chrétien. On sait aujourd'hui qu'il s'est trompé et que Jésus est né 5 ou 6 ans auparavant (ça ne nous rajeunit pas !).
Le christianisme est donc une religion historique, non une sagesse intemporelle ni une fuite du monde. La piété chrétienne n'est pas évasion dans une fausse mystique ; la méditation chrétienne n'est pas « faire le vide dans sa tête » ; l'ascèse chrétienne n'est pas mépris du corps, anorexie, maîtrise totale des réactions, indifférence aux circonstances. La foi se vit dans telle nation, sous tel régime politique...

LE CHEMINEMENT DE JEAN

Dans ses deux premiers chapitres, Luc a tracé un parallèle entre les annonces et les naissances de Jésus et de Jean et, à propos de ce dernier, il a fait une remarque curieuse :
«  Il grandissait et son esprit se fortifiait : et il fut dans les déserts, jusqu'au jour de sa manifestation à Israël »     (1, 80).
Fils du prêtre Zacharie, Jean aurait dû, comme son père, suivre la formation et devenir prêtre au temple de Jérusalem mais il semble avoir renoncé à ce sacerdoce héréditaire, aux liturgies et aux sacrifices d'animaux. Serait-il devenu membre de la communauté essénienne de Qumran, célèbre depuis la découverte en 1947 de sa bibliothèque, les « manuscrits de la Mer Morte » ? En effet, environ un siècle auparavant, un groupe de prêtres, emmenés par le « Maître de Justice », avait rompu avec le temple dont ils n'acceptaient pas les modifications de calendrier qu'on y avait imposées. « La communauté de l'Alliance » regroupait les « purs » appliqués à l'étude incessante des Ecritures, voués à une existence ascétique, tendus dans l'attente du ou des Messie(s) et symbolisant leur recherche de purification par la pratique d'ablutions et de bains quotidiens.
Mais Dieu avait un autre dessein pour Jean : non prêtre au temple, ni « moine » dans la solitude, il est subitement frappé par un appel de Dieu qui l'envoie comme prophète dans le monde et Luc reprend pour lui l'expression utilisée pour Jérémie : « La Parole de Dieu fut sur Jean, fils de Zacharie ».
On ne comprend pas toujours tout de suite sa vocation et certains suivent des chemins très variés. L'essentiel est de poursuivre sa recherche avec bonne volonté en tentant de percer les desseins de Dieu et en répondant à ses appels.

LES TROIS EXODES

Jean va donc commencer sa mission : cette « manifestation » marque une étape capitale dans l'histoire du monde - d'où les notes chronologiques données par Luc au début.
« Jean parcourait toute la région du Jourdain ; il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés ».
Jean a remonté un peu la vallée du Jourdain, dans les environs de Jéricho, et il circule sur la rive orientale (comme le précise Jean 1, 28), lieu de passage important pour les caravanes vers la Transjordanie. Il annonce la purification des c½urs et le pardon de Dieu non plus par les liturgies fastueuses ni par des ablutions toujours répétées. Il appelle à se dévêtir et à traverser le gué du fleuve ; c'est lui qui a l'initiative de ce baptême (mot qui signifie « bain ») qui n'est donné qu'une fois et qui comporte l'engagement à la « conversion », au changement de vie.
Cet emplacement choisi par Jean et ce « passage » n'ont rien de banal car jadis c'est dans cette région qu'étaient parvenus les esclaves hébreux libérés de l'esclavage égyptien et leur guide Moïse y était mort. Le peuple passa le Jourdain sous la conduite de Josué (en hébreu même mot que Jésus !!) mais ne parvint jamais à observer les lois de Dieu. L'Exode avait été la grâce fondatrice d'Israël mais celui-ci n'avait pu dès lors obéir à la Loi de son Dieu.

Or, quelques siècles plus tard, en -587, Jérusalem et le temple furent détruits, le roi et la population déportés à Babylone ; mais en -538, un prophète se leva et proclama la bonne Nouvelle du prochain retour, un nouvel « exode » qui serait encore plus merveilleux que le premier. Et de façon poétique, il invitait à réfectionner la route afin de permettre un retour triomphal :
« Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies ; et tout homme verra le salut de Dieu » (Is 40, 3-5)
Las, on sait que, comme le premier exode, ce retour ne conduisit pas à la réussite : Israël continua à être infidèle à la Loi de son Dieu et les occupations étrangères manifestèrent qu'il n'était quand même pas un peuple libre.

Voici donc qu'à présent, à la frontière du pays, là où les tribus se présentèrent, Jean propose son baptême comme un 3ème « exode ». Cette fois, il ne s'agit plus d'une sortie hors d'un pays étranger oppresseur pour rentrer dans sa propre terre mais d'une conversion vue comme une « rentrée » dans son vrai moi- puisque le péché est une « sortie » hors de soi.
L'événement ne concerne plus seulement un peuple particulier : maintenant le passage d'eau est proposé à tout être humain pour qu'il sorte de la domination du mal et passe dans le monde de Dieu. L'exode n'est plus local mais spirituel ; il n'est plus ethnique mais universel. Le salut ne vient plus par des liturgies et des sacrifices d'animaux (le temple). Ni par une fuite hors du monde et des ablutions successives (la communauté du désert). 
Et Luc montre bien que la mission de Jean est dans la ligne du retour d'exil en reprenant à son sujet la citation du « 2ème Isaïe » qui avait proclamé cette bonne nouvelle  (cf. ci-dessus) :
Jean proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés comme il est écrit dans le livre du prophète Isaïe : « Préparez le chemin du Seigneur, etc..... ».

La Bonne Nouvelle du retour se comprend désormais au niveau de l'intériorité : celui qui demande le baptême s'engage à « passer sur l'autre rive », à laisser Dieu venir à lui en comblant les fossés des désespoirs, en quittant les ornières des habitudes, en rabotant les élévations de l'orgueil, en rectifiant les conduites sinueuses et perverses. Alors « tout humain verra le salut de Dieu ». Mais le chrétien sait déjà que « le salut » n'est pas un état de perfection, un idéal à construire, un chemin à tracer par ses propres forces. Il faudra dépasser cette tentative de Jean et passer par « le baptême de Jésus »
Car ce qu' « on verra », ce ne sera pas « le salut » mais « le SAUVEUR », quelqu'un, Jésus, devant lequel Jean va s'effacer, comme on le dira dimanche prochain.

Qui, dans ma vie, a joué le rôle de « précurseur » de Jésus ? Je rends grâce pour tous ceux-là qui me l'ont fait connaître. Je reprends conscience de l'importance de mon baptême : décision de reconnaître ses fautes et désir de « passer » afin de mener une vie nouvelle.
Sein maternel, enfance, adolescence, âge adulte, vieillesse, mort... : le chemin de l'homme n'est-il pas une succession de « passages », de sorties de prison, de naissances à la Vraie Vie ?...