Sur RCF Liège, dans le cadre de l’émission Gastrothéo, vous auriez pu entendre la recette suivante : vous posez un demi crottin de Chavignol sur une rondelle de pomme. Ensuite, vous déposez deux sauterelles que vous arrosez abondamment de miel sauvage et que vous épicez de thym frais. Vous passez le tout sous le grill pendant quelques minutes puis vous déposez la préparation sur une petite salade, comme dirait notre conseillière culinaire Geneviève Bleus. Cette recette agrémenterait bien évidemment les commentaires bibliques que le frère Raphaël Devillers aurait préalablement partagés durant ce programme puisqu’elle s’inspire de deux ingrédients chers à Jean Baptiste qui s’en nourrissait, comme nous venons de l’entendre dans l’évangile.
Des sauterelles et du miel comme nourriture. Nous pourrions en rester à un commentaire gastronomique. Toutefois, s’ils sont mentionnés, c’est qu’ils peuvent également avoir un contenu théologique. Commençons par les sauterelles. Ces dernières peuvent faire référence à celles des dix plaies d’Egypte racontées dans le livre de l’Exode. « Les sauterelles couvrirent la surface de toute la terre et la terre fut dans l'obscurité ; elles dévorèrent toutes les plantes de la terre et tous les fruits des arbres, tout ce que la grêle avait laissé et il ne resta aucune verdure aux arbres ni aux plantes des champs dans tout le pays d'Égypte ». Rappelons-nous, ces plaies étaient les dix châtiments que Dieu infligea à l'Égypte pour convaincre Pharaon de laisser partir le peuple d'Israël. Elles ont été vécues comme un moyen de pression extraordinaire pour qu’une libération puisse se vivre. En ce sens, les sauterelles que mangent Jean-Baptiste sont, pour nous, signes que nous aussi, alors que nous subissons des plaies, voire que nous en commettions, sommes invités à entrer dans un chemin de libération en préparant le chemin du Seigneur et en rendant droits ses sentiers. Tant d’attitudes, de regards, de gestes ou encore de mots peuvent blesser l’être humain. Nous sommes parfois encombrés de tout cela: des paroles qui ont dépassé notre pensée, des gestes que nous n’arrivons pas toujours à comprendre, des actes qui ont fait souffrir, des blessures qui n’arrivent pas à se cicatriser. Et tout cela nous encombre et peut envenimer l’ensemble de notre vie en nous empêchant de nous mettre debout et d’avancer pour, à notre propre rythme, vivre de cette vie qui nous est promise en Dieu. Alors aujourd’hui nous sommes conviés à vivre un moment de souvenir, à nous rappeler tout ce qui nous encombre pour mieux pouvoir nous désencombrer tant de nous-même que des autres en les déposant au pied de cet autel. Il ne s’agit certainement pas d’oublier. En effet, il nous est impossible de décider d’oublier. Non il s’agit de nous rappeler ces événements, ces mots, ces gestes, ces attitudes. De nous en rappeler pour mieux les intégrer à notre histoire. Reconnaître que c’est aussi par eux que nous sommes devenus qui nous sommes aujourd’hui. Toutes et tous, nous avons été tant façonnés dans le bonheur que dans les épreuves. Faisons acte de souvenir pour que ces derniers deviennent, au fil de nos années, douceur à notre mémoire blessée. Les sauterelles de Jean-Baptiste expriment peut-être ainsi la dureté de la vie tout en nous ouvrant vers un chemin de libération intérieure où Dieu nous attend. Il nous accueille avec cette patience et cette tendresse qui le caractérisent. Il nous invite à nous remettre debout malgré nos cicatrices intérieures. Lorsque nous prenons conscience de cette réconciliation offerte, les sauterelles font alors place au miel sauvage, c’est-à-dire à la douceur de la Parole de Dieu. Notre Dieu révélé en Jésus-Christ est un Dieu de « tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour », pour reprendre les mots du psalmiste. C’est précisément ce Dieu-là qui vient à nous en devenant l’un de nous. Accueillir cette merveilleuse nouvelle demande de s’y préparer, de se désencombrer, de se libérer pour laisser toute la place à Celui qui s’est incarné par Amour pour nous. Les sauterelles nous ont conduit au miel. La prise de conscience de notre propre réalité nous ouvre ainsi à la tendresse divine qui jamais ne s’éteindra.
Amen
2eme dimanche de l'Avent, année B
- Auteur: Philippe Cochinaux
- Date de rédaction: 7/12/14
- Temps liturgique: Avent
- Année liturgique : B
- Année: 2014-2015
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