En ces temps de guerres, de crises et d’incertitudes, en ces temps obscurs et troublants, nous voulons vivre l’Avent comme un ressourcement pour espérer ce qu’il faut espérer, pour nous investir dans ce qui mérite d’être promu, pour engager notre vie là où s’ouvre l’avenir. Et alors la figure des prophètes nous intéresse. Comme les étoiles de la voie lactée, ils indiquent dans la nuit une voie, une direction, un sens.
De très grands prophètes comme Jean Baptiste ou Isaïe peuvent nous sembler lointains, mais nous avons des figures prophétiques proches : chaque génération a son lot ! Ils ont cru en l’impossible et ils ont participé à son avènement. Ils ont tenu bon dans l’épreuve, celle de la prison et même parfois celle de la torture. Ils ont payé leur engagement de leur vie, soit parce qu’ils ont été assassinés soit parce qu’ils ont donné tout leur souffle, tout simplement, oui, tout leur souffle et pas seulement le dernier : on peut donner sa vie sans nécessairement être tué ! Et donner sa vie dans la durée, c’est s’échanger contre une autre réalité, c’est devenir vivant autrement.
Il y a eu les héros obscurs de la grande guerre, il y a cent ans. Puis il y a eu les résistants contre le nazisme et l’invasion. Il y a eu Gandhi et l’indépendance de l’Inde, Martin Luther King et la fin des discriminations raciales. Plus proche encore, nous avons la figure de Nelson Mandela, qui après 27 ans de prison et de travaux forcés, par sa force d’âme, est venu à bout de l’apartheid.
Des films nous font partager la vie de figures moins connues comme celle des moines de Tibhérine (« Des hommes et des dieux »), ou comme tout récemment, « Marie Hurtin », cette jeune religieuse du 19ème siècle qui réinvente le langage, avec le toucher, pour sortir de son enfermement un enfant aveugle et sourd. Les prophètes autour de nous sont innombrables, il suffit d’ouvrir les yeux.
Ces figures nous montrent qu’il est possible, qu’il est raisonnable, qu’il est pleinement humain, d’espérer autre chose, même contre toute espérance, c’est à dire contre tout pseudo-réalisme, de vouloir le meilleur, de tendre de toutes ses forces vers un monde de justice et de paix… même si les écrans nous mettent sous les yeux des drames insupportables, des souffrances inouïes, des catastrophes humanitaires inimaginables.
Il est possible de vivre l’espérance de Noël sans se détourner de l’actualité des migrants qui sombrent en méditerranée ou qui s’empalent sur les barbelés de la forteresse Europe ou qui se font électrocuter entre le Mexique et les Etats Unis. Il est possible de vivre Noël le cœur battant et les yeux ouverts. Il est possible de célébrer la naissance du Prince de la paix, autrement que barricadé chez soi, autour de quelques enfants pourris-gâtés. Il est possible d’espérer à fond et sans mesure, comme le dit saint Pierre, rien moins qu’ « un ciel nouveau et une terre nouvelle », c’est à dire une nouvelle création.
C’est possible et nous ne sommes pas les premiers. C’est possible et c’est le contraire qui serait anormal, car cette espérance folle est ce qu’il y a de plus raisonnable. Elle s’appuie sur la promesse de Dieu. Ne pas espérer, à cette dimension là, serait ne pas le prendre au sérieux.
La résurrection de Jésus Christ nous assure que le monde a déjà changé. Il y a une autre rive. L’injustice et la force n’auront pas le dernier mot.
Notre attente n’est pas orpheline. Nous ne sommes pas seuls, Dieu est avec nous. En devenant son ami, nous découvrons qu’il est encore plus impatient que nous, que son désir est bien plus vif que le nôtre, qu’il nous précède sur nos chemins. C’est lui qui nous invite à veiller, pour nous associer à son œuvre créatrice et recréatrice.
Parce que Dieu est le premier concerné, le premier intéressé, nous pouvons être assurés de la réalisation de ses promesses. Il est discret mais il est Dieu. A Noël notre regard ne se porte pas vers le passé pour le passé, mais vers l’avenir, avec l’élan de tout ce qui a déjà été réalisé.
Notre attente s’appuie sur sa promesse et sur l’expérience émerveillée de tout ce qui a déjà été fait. Il est venu et il revient.
Nous pouvons avoir à la bouche le dernier mot de l’Apocalypse, la toute dernière phrase, comme un soupir. Il dit le désir, l’attente impatiente d’un amour : « L’Esprit et l’Epouse disent ‘Viens ! Oui Viens Seigneur Jésus’ ! »