2ème dimanche du temps de l'Avent (C)

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 6/12/15
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : C

Dans le passage de l'Évangile que nous venons d'entendre, vous aurez remarqué avec quels détails Luc dessine le tableau du « pouvoir » de son époque. Tibère est empereur. Ponce Pilate est gouverneur de la Judée. Hérode est au pouvoir en Galilée. Hanne et Caïphe détiennent le pouvoir religieux. Le pouvoir a l'air bien « en place », c’est-à-dire organisé, tracé,  fixé. « Sous Tibère, rien à signaler » écrivait un auteur romain à propos du rôle de Tibère dans la Palestine de Jésus.

Toutefois, à côté de ce banal tableau historique, Luc nous donne à entendre une voix, qui échappe aux prises de l’histoire. Cette voix nous invite au désert, où rien n’est tracé, fixé, établi. C’est une voix prophétique à défaut d’être royale : celle de Jean-Baptiste. Une voix qui fait un peu désordre dans ce tableau. « Préparez le chemin du Seigneur », dit-il en reprenant les mots d’Isaïe. Jean Baptiste n’invite pas à renverser le pouvoir ou à changer l’ordre établi. Mais, il nous invite à la conversion, c’est à dire « à prendre le chemin de notre désert ».

Le désert, c’est l’inverse du pouvoir. C’est la démaîtrise, le risque.  Un lieu où on prends conscience de sa dépendance. Prendre le chemin du désert, ce n’est pas déserter, fuir ses responsabilités ! Mais accueillir le manque, l’absence, dans le silence du cœur. Le désert creuse le désir. En ce sens, il est le lieu de la vulnérabilité, c’est à dire de la rencontre avec nous mêmes et avec les autres. C’est le lieu de la conversion, de la conversation avec nous-mêmes !

Le désert n’est donc pas ce lieu vide où l’on n’entendrait rien, et où on prend la fuite. Il est fondamentalement ce silence intérieur où une voix, la nôtre peut-être, se donne à entendre. Le désert est comme le vent de l’Esprit. Il est non ce qui parle, mais ce qui nous fait parler et nous aide à donner de la voix. Le désert n’est pas ce qui nous offre des réponses, satisfait notre désir. Il est ce qui suscite des questions, creuse en nous notre soif d’être. Il est ce lieu par excellence où rien n’est tracé et où cependant, quelque chose vient rayonner en silence…

Le désert est donc ce qui permet à notre voix de rayonner. Il est cet espace qui rend notre cœur disponible. Il est ce lieu de la rencontre, où ce qui se fait at- tendre se donne à entendre.

Voilà pourquoi notre culture contemporaine a horreur du désert, car ce dernier est un lieu de vérité qui ne permet aucun masque. Le désert comme le silence nous confronte à nous-mêmes, à celui ou celle que nous essayons d’être. A celui ou celle dont nous ne voulons pas faire le deuil. Dans les déserts, il n’y a en effet pas de route toute tracée, pas de sécurité, mais un chemin à écrire avec ce que nous sommes.

Aller au désert, c’est donc déplier la carte de sa vie, se mettre à l’écoute de soi, pour y voir toujours un salut, un relevement possible. C’est un chemin de vérité avec nous-mêmes qui nous pousse à combler les ravins de la tristesse, à abaisser les montagnes de la suffisance.

Alors, quel que soit notre âge, malgré la routine, traçons patiemment ces routes dans nos déserts intérieurs. Certains chemins nous ferons prendre de légitimes détours à cause de nos blessures. D’autres nous feront perdre un peu de temps, vu nos maladresses ou nos peurs. D’autres chemins seront encore parsemés de tous les écueils de nos hésitations, de nos deuils. D’autres chemins nous sembleront aussi naturels, rassurant, familiers.  Voilà ce chemin intérieur et que nous pouvons tracer avec l’aide de l’Esprit, au cœur même de nos existences personnelles parfois tortueuses. Un chemin pour faire résonner ce que nous sommes.

Il y a un jeu de mot en latin entre persona et per-sonare, ‘faire résonner’, ‘faire retentir’ et le mot personne. Jean Baptiste devient véritablement qui il est en faisant retentir sa voix dans le désert. A nous aussi de laisser résonner au fond de notre cœur cette voix de l’Esprit, qui nous donne d’accueillir avec confiance ce qui vient. Et si pour cela, il faut aplanir des routes, c'est qu'il reste bien des obstacles pour que vienne à nous Celui dont l’unique désir est de dire à notre humanité qu'il l'aime et qu'il l'attend.

Alors, à l'écoute de l'Esprit, préparons, chacun à notre mesure, les très nombreux chemins du Seigneur, faisons résonner ce que nous sommes réellement, pour que tout homme, toute femme voit le salut de Dieu. Amen