DE LA LOI À LA GRÂCE
A l’origine, la foi est souvent une croyance héritée, l’obéissance à des préceptes, le goût du sacré. Sa maturation est de passer du « faire » au « recevoir ». Il faut passer de Jean-Baptiste à Jésus. Du maître exigeant à l’agneau immolé. De l’impératif au passif actif. De « Tu dois » à « Tu es ».
Le lendemain encore, Jean se trouvait là avec deux de ses disciples. Posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu ». Les deux disciples entendirent ce qu’il disait, et ils suivirent Jésus. Se retournant, Jésus vit qu’ils le suivaient, et leur dit : « Que cherchez-vous ? ».
Ils lui répondirent : « Rabbi – ce qui veut dire : Maître –, où demeures-tu ? »
Il leur dit : « Venez, et vous verrez. » Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C’était vers la dixième heure (environ quatre heures de l’après-midi).
André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient entendu la parole de Jean et qui avaient suivi Jésus. Il trouve d’abord Simon, son propre frère, et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie » – ce qui veut dire : Christ. André amena son frère à Jésus. Jésus posa son regard sur lui et dit : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Képhas » – ce qui veut dire : Pierre.
JESUS EST L’AGNEAU DE DIEU QUI PORTE / EMPORTE LE PÉCHÉ DU MONDE
C’est le premier titre donné à Jésus dans l’évangile de Jean : Jean le Baptiste dissuade ses disciples de s’accrocher à lui et il les presse de suivre Jésus qui est en train de le quitter. Il ne suffit pas de dire : « Fais ceci ; ne fais pas cela ; observe les règlements». Le salut ne viendra pas d’une morale stricte, d’une obéissance dictée par des codes, des colères, des menaces. Par quoi alors ? Par qui surtout ?
Pour comprendre, il faut toujours repartir de l’Exode. Les Hébreux, traités en esclaves pour réaliser les travaux les plus lourds, étaient prisonniers en Egypte, incapables de s’enfuir. Or, un certain printemps, alors que, selon la coutume, ils célébraient la fête de Pessah (=passage) en mangeant un agneau nouveau-né, Moïse donna le signal de départ et ils partirent dans la nuit. L’armée ne put jamais les rejoindre et, dans le désert, Dieu fit alliance avec eux. Enfin la liberté !
Cet événement fondateur alimenta une méditation permanente : ainsi donc, sans combat, grâce à Dieu, nous sommes devenus un peuple libre et le jeune agneau, image de la fragilité et de l’innocence, a été le seul à payer de sa vie ! Comme si son sacrifice avait permis notre libération !
Jusqu’à la fin des temps, Pessah demeure la mémoire nécessaire d’Israël : le salut n’est pas œuvre des hommes mais de Dieu…grâce au sang d’un innocent !!?? Pourquoi ?
Mais sortir de prison ne suffit pas. Un esclave, hélas, peut échapper aux griffes d’un tyran et en reproduire la conduite ignoble. Ainsi, parvenus en Israël sur la terre reçue de Dieu, à nouveau les forts écrasaient les faibles, les orgueilleux se pavanaient, les nantis accumulaient des fortunes et laissaient leurs frères mourir de faim, les juges corrompus rendaient des sentences injustes et bafouaient le droit.
L’un après l’autre, les Prophètes, depuis Elie jusque Malachie, avaient beau dénoncer les scandales, rappeler les exigences de l’Alliance, vitupérer contre les injustices. En vain !
Alors le châtiment survint et au 6ème siècle avant notre ère, Jérusalem fut détruite et sa population déportée à Babylone. Le projet de Dieu semblait anéanti, le fameux Roi-Messie qu’il avait promis ne venait pas et Israël semblait voué à la disparition.
Or, c’est alors, au cœur de la détresse, qu’un prophète lança un oracle pathétique, inouï, extraordinaire : ce n’est plus le sang d’un agneau qui nous fera sortir du mal mais le Messie lui-même car celui que l’on attend comme un souverain puissant sera au contraire comme un serviteur de Dieu, humilié et tué pour le pardon de tous.
« Qui va croire ce que nous avons entendu dire ? Devant Dieu, il est méprisé, laissé de côté. En fait ce sont nos souffrances qu’il porte, nos douleurs qu’il supporte. Nous pensions qu’il était frappé par Dieu mais il est déshonoré à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos perversités. La sanction, gage de notre paix, est sur lui. Dans ses plaies, se trouve notre guérison. Comme un agneau, il n’ouvre pas la bouche… Seigneur, si tu fais de sa vie, un sacrifice de réparation, il verra une descendance et prolongera ses jours. Ayant payé de sa personne, il dispensera la justice, lui, mon Serviteur, au profit des multitudes parce qu’il s’est dépouillé jusqu’à la mort. Il a porté les fautes des foules » (Isaïe 53)
Jean-Baptiste perçoit que Jésus est ce « Serviteur souffrant », cet « agneau ». La majorité de ses disciples ne le croient pas et restent avec lui mais deux hommes ont compris et se mettent à suivre Jésus : André et un anonyme. N’est-ce pas Jean lui-même qui reste incognito pour que le lecteur puisse se sentir lui-même interpelé : « Et si moi aussi, aujourd’hui, je suivais Jésus l’Agneau ? »
QUE CHERCHEZ-VOUS ?
Sans un mot, Jésus quitte la solitude et la dure ascèse du maître. Derrière lui il entend des pas et interpelle les deux jeunes gens : QUE CHERCHEZ-VOUS ?
C’est la première parole de Jésus dans l’évangile et elle nous vise en plein cœur. Quel est ton désir ?
Tu cherches les grandes manifestations religieuses, les liturgies somptueuses, les pèlerinages de masse ? Va rejoindre les foules au Temple.
Tu cherches la vie parfaite dans la solitude et l’ermitage ? Rejoins les sectaires de Qumran.
Tu cherches la libération par la violence, la révolte armée ? Fourbis tes armes et rejoins les groupes zélotes qui préparent la révolution.
Tu cherches à bâtir ta propre justice en observant les moindres préceptes, en portant le joug intolérable des commandements ? Va t’inscrire chez les Pharisiens.
Tu cherches une existence paisible, enfermée dans le cocon du profit et de la consommation ? Rejoins les foules bombardées de slogans publicitaires et béates devant leurs besoins assouvis.
OÙ DEMEURES-TU ? Les deux jeunes ignorent tout de ce Jésus mais ils sont décidés à le suivre, à être avec lui, à devenir ses disciples, à commencer une nouvelle aventure dont ils ne savent encore rien.
Croire c’est CHERCHER JESUS…désirer DEMEURER AVEC LUI…LUI FAIRE CONFIANCE …
LA MISSION
André court prévenir son frère…et tout de suite après Jésus appellera Philippe qui, sur le champ, se précipitera pour annoncer la nouvelle à son ami Nathanaël : « NOUS AVONS TROUVÉ … C’EST LE MESSIE ». Car la foi en Jésus n’enferme pas dans une jouissance individuelle : de soi elle entraîne la RECHERCHE DU FRERE pour lui annoncer la Bonne Nouvelle, partager l’Evangile, communier dans la même espérance, exulter dans la même joie. La mission est comme une réaction en chaîne. Toute communauté chrétienne qui veut jouir seule de Jésus meurt. « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons afin que vous soyez en communion avec nous » (1 Jean 1, 3).
Oh, les premiers disciples sont encore pleins d’illusions : on verra comment ils désirent encore la réussite, les bonnes places, le pouvoir. C’est pourquoi, lorsque l’Agneau sera arrêté et mis à mort, ils ne se souviendront plus du « Serviteur Souffrant » et ils s’enfuiront dans la nuit. Refusant d’être libérés par le sang de Jésus, ils redeviendront prisonniers de leurs peurs, de leurs besoins, de leur lâcheté.
Une femme, elle, continuera à chercher: Marie-Madeleine en larmes se glisse vers le tombeau où repose, croit-elle, le corps inanimé de son maître. Et dans la première lueur de l’aube, celui-ci, par derrière, appelle doucement sa disciple : « MARIE QUI CHERCHES-TU ? ». Non plus QUE mais QUI.
Et donc « VA DIRE A MES FRERES… ». La mission va exploser. A partir de Jérusalem, les disciples vont s’éparpiller, courir dans toutes les directions et bientôt dans les grandes villes naîtront des communautés qui, le dimanche, se rassembleront et confesseront leur foi :
VOICI L’AGNEAU DE DIEU QUI ENLEVE NOS FAUTES…
Continuons à déranger le monde en lui posant la question : « Que cherchez-vous ? »
2ème dimanche ordinaire
- Auteur: Raphaël Devillers
- Date de rédaction: 11/01/15
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année: 2014-2015