Mc 10, 46-52
Au regard de la foi, le monde est rempli d'aveugles-nés. Et nous-mêmes, avouons-le, nous ne voyons pas très bien, nous ne voyons pas très clair. Car la foi, qu'est-ce que c'est ? Sinon l'adhésion, l'aimantation, pour une présence qui est une absence, pour des choses que nous ne voyons pas... On dirait presque que la foi se nourrit de doute et d'obscurité : tous les grands saints, même la Mère Térésa, ont connu le passage par les ténèbres. « C'est de nuit » écrit Jean de la Croix.
Il s'agit donc, comme le mot foi l'indique, d'une confiance, d'une certitude non prouvée. Aucune démonstration, aucune analyse chimique ou scientifique, aucune preuve ne peut certifier l'amour ! M'aime-t-il ? M'aime-t-elle vraiment ? A lui, à elle, de le croire ! A moi de le deviner ! A moi de prendre le risque de vérifier !
Bartimée est aveugle, mais il est habité par cette confiance, cette espérance contre toute espérance, qui le fait s'avancer au premier rang, à tâtons, en se cognant, en butant sur les obstacles, pour se faufiler entre les gens. Qu'est-ce qui le fait marcher ? Il ne saurait probablement pas le dire, mais il s'avance sur la foi d'une rumeur incroyable qui l'a touché : Il n'est pas loin. Qui cela ? Qui « Il » ? On ne sait pas, mais il paraît que c'est vrai (« faut voir ! ») : Il approche, Celui qui change la vie, Celui qui peut ouvrir ce qui est encore fermé, Celui qui peut faire voir le ciel et la terre du même coup, toute transfigurée sous le soleil de Dieu !
Bartimée s'embusque sur le chemin. Il en veut, c'est à dire qu'il fait tout son possible pour vérifier. Son infirmité ne le paralyse pas du tout, au contraire, c'est elle qui le met en mouvement !
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Mais c'est toujours pareil : la multitude fait écran. Au lieu de favoriser le passage, au lieu de permettre la Rencontre, au lieu d'être des témoins attirants, les disciples sont repoussants. Rappelez-vous l'histoire du paralytique : il a fallu quatre hommes pour le porter. Il a fallu faire un trou sur le toit, « faire sauter la baraque » comme on dit, pour le descendre au contact de Jésus !
« Tais-toi ! » Tu déranges, ici, c'est réservé au gens normaux... Tu gènes la procession, tu fais tâche dans le paysage, tu es en trop, tu n'es pas beau, c'est pas pour des gens comme toi !
Mais vous le savez, tout au contraire, Jésus n'est pas venu pour les bien portants mais pour les malades, pas pour les soit-disant « justes » mais pour les « injustes », pas pour les « voyants » mais pour les « mal-voyants », pour les pécheurs et les mé-créants ! Les sans avenir, sans futur, tous ceux qui sont perdus.
Alors l'aveugle bondit. Il lâche tout, c'est à dire son manteau, son seul abri. Il s'élance en porte-à-faux sur son espérance. Il largue les amarres, en plein noir ! C'est que la lumière est déjà en lui, dans ce creux, ce désir, cette flamme en son c½ur, cette passion de vivre à fond, les yeux grand-ouverts et le c½ur brûlant !
Alors Jésus prend la parole, et cette parole de Jésus, vous la connaissez. Vous y êtes habitués. Elle ne vous surprend plus. Mais sachons l'écouter, comme pour la première fois : « ta foi t'a sauvé ! »
Il ne dit pas « Je, moi-je, je t'ai guéri ». Il dit : « ta foi t'a sauvé ! ». Mon ami, c'est toi ! C'est toi qui t'es toi-même mis en route, c'est toi qui as fait le premier pas, c'est toi qui te re-crées toi-même en te laissant convoquer par la rumeur qui t'atteint, qui t'attire, lorsque tu te décides à vérifier, à voir si ça marche, à voir si c'est vrai. Alors cela devient réalité !
C'est ici qu'il faut ouvrir les yeux, nous aussi, sur le mystère de Dieu, c'est à dire le mystère de l'homme inséparablement, celui de notre vie. Dieu est notre père et il est amour. Il souhaite que nous devenions avec lui et comme lui, des dieux, dans une même vie. Fils et filles de Dieu, pleinement vivants et créateurs : à son image et ressemblance, ses amis ! Mais on ne peut pas créer des Dieux. Il n'y a pas de machine à fabriquer des dieux ! Un dieu, cela se crée par soi-même ou cela n'est rien du tout. Alors Dieu nous crée le moins possible, quelque fois même, comme dans le cas de cet aveugle, c'est mal fini, pas terminé ! Et c'est nous qui nous structurons, nous construisons, « a golpes » comme disent les espagnols, vaille que vaille, en nous cognant aux murs ou aux arbres du trottoir, en allant jusqu'au bout des impasses et en faisant demi-tour, en tombant et en nous relevant. Et alors la Rencontre est possible : entre vivants. Le dialogue est possible parce que l'aveugle appelle et crie et ne s'arrête pas. La lumière est déjà là et il suffit au Christ de le constater, de le révéler. C'est un jugement, un arrêt. Mais le contraire d'une condamnation : une libération. « Tu vois ! ». Et, par le miracle, ce qu'il dit, devient manifeste. Pas plus ! Pas moins !
Jésus n'est pas un sorcier, ou, si vous voulez, il est un sourcier. Il révèle la vie cachée, la vérité des choses et des gens, l'eau profonde que personne ne voit. Il est la lumière jaillie au fond du puits.
Bartimée, le fils de Timée est devenu un enfant de Dieu, un fils de Dieu. Il a en lui la lumière et le feu : il voit !
Conclusion ?
Regardons d'un autre regard les 'non-voyants', les 'mal-croyants'. Au lieu de les repousser, sachons nous émerveiller de la constance de leur recherche, même maladroite, même égarée (je pense aux drogués qui cherchent ce qu'ils ne peuvent pas se donner). Sachons voir ce qui les met en mouvement. Beaucoup sont des aveugles-nés, la faute à personne, ni à eux, ni à leurs parents. Mais ils sont des assoiffés de lumière qui un jour verront Celui que, sans le voir, ils ont inlassablement cherché.