31e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2005-2006

Au terme de son long voyage, Jésus est enfin entré dans Jérusalem sous les vivats de la foule. Il s'est rendu au temple et en a chassé les vendeurs. Toute la ville se prépare à célébrer la Pâque et des caravanes amènent un flux incessant de pèlerins. La tension monte : doit-on s'attendre à une imminente révolution ? Sur l'esplanade du temple où il enseigne la foule, Jésus est successivement abordé par les différentes catégories des autorités religieuses. Prêtres, sadducéens, pharisiens le harcèlent de questions insidieuses en vue de le prendre en délit de viol de la Loi. Aujourd'hui nous écoutons le dernier interrogatoire, provoqué par un scribe qui ne semble pas du tout adversaire de Jésus.

QUEL EST LE PREMIER COMMANDEMENT ?

Un scribe s'avance vers Jésus : "Quel est le premier de tous les commandements ?"

Dans les écoles de scribes -les théologiens de l'époque-, on débattait d'un sujet essentiel : quelle était donc la première des innombrables prescriptions commandées par les Ecritures (613 répertoriées par la Tradition) : l'observance du shabbat, la circoncision, les purifications, la participation aux grandes fêtes, le jeûne, la prière... ?

Jésus lui fit cette réponse : " Voici le premier : ECOUTE, Israël : le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton c½ur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas de commandement plus grand que ceux-là".

1. TU AIMERAS LE SEIGNEUR UN

Ce passage du livre du Deutéronome (6, 5) revêt en effet une valeur capitale, centrale : il s'agit de la confession solennelle de la foi que tout Israélite doit prononcer chaque jour de sa vie, au coucher et au lever (obligation encore en vigueur aujourd'hui) et que l'on appelle, de son premier mot, le SHEMA (= Ecoute !).

En se tournant dans la direction de Jérusalem, le croyant prie et dit sa foi : ECOUTE ISRAËL - car tu n'inventes pas ta croyance, c'est une Révélation divine qui t'est communiquée par la tradition séculaire de ton peuple dont tu es un membre. Ecoute : Que te dit-elle afin que tu te le répètes tout au long de ton existence ? : " LE SEIGNEUR NOTRE DIEU EST L'UNIQUE SEIGNEUR ".

SEIGNEUR est dit pour "YHWH", le mot sacré imprononçable, Dieu unique, qui a révélé son nom à Moïse et s'est manifesté comme Dieu d'amour et de tendresse en permettant jadis aux esclaves hébreux de s'enfuir d'Egypte, en leur donnant sa Loi et en les constituant en peuple libre. En retour Israël doit AIMER ce Seigneur. "Tu aimeras" n'est donc pas un ordre arbitraire, un commandement sans explication : l'amour pour YHWH est une réponse à l'Alliance que Dieu a conclue avec Israël. La vie d'Israël dépend donc de cette réponse ; et son péché, hélas, sera toujours d'oublier les bienfaits de son Dieu et de ne plus observer sa Loi.

"Tu aimeras" : au futur : c'est dire qu'il s'agit d'un appel, d'une voie où l'on s'engage, où l'on est conduit à progresser pour aimer non un peu, de temps en temps, mais de façon radicale :

-  DE TOUT TON C¼UR- ce qui désigne la personne elle-même
-  DE TOUTE TON ÂME - ce qui veut dire la vie : tu devras aimer ce Dieu même s'il faut, un jour, mourir pour lui.
-  DE TOUT TON ESPRIT (addition au verset de la Bible)- c'est-à-dire avec ton intelligence, ta raison, ta pensée.
-  DE TOUTE TA FORCE- donc en utilisant tout ce qui est en ton pouvoir : tes biens, tes propriétés, tes pouvoirs, ton temps, tes talents, tout ce dont tu disposes.

L'amour intégral du DIEU UN unifie l'homme, le sauve de l'idolâtrie qui le fractionne, le disperse, le déchire.

2. TU AIMERAS TON PROCHAIN COMME TOI - MÊME.

A ce 1er commandement, Jésus joint immédiatement un second, pris dans le Livre du Lévitique ( 19, 15). L'amour pour le Dieu transcendant est premier mais il doit s'accompagner de l'amour de l'homme : les deux dimensions sont inséparables. " Aimer Dieu seul" pourrait nous faire évader dans une piété évanescente et stérile ; "aimer le prochain seul" nous enfermerait dans une idéologie humanitaire, souvent sélective et vite limitée. Tu dois voir l'autre comme "une image de Dieu" au même titre que tu l'es toi-même - donc vivre avec lui la même relation que tu te portes, lui faire ce que tu voudrais que l'on te fasse, (ce qui sous-entend qu'il faut s'aimer soi-même - ce qui n'est pas évident !)

Le scribe reprit : " Fort bien, maître, tu as raison de dire que Dieu est l'Unique et qu'il n'y en a pas d'autre que lui. L'aimer de tout son c½ur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices."

Aucune objection : l'homme marque son accord complet avec Jésus et précise même que cet amour, de c½ur et en actes, a une telle préséance qu'il sera toujours supérieur aux sacrifices d'animaux et aux plus admirables liturgies célébrées au temple. Dieu le disait par Osée : " C'est la miséricorde que je veux et non les sacrifices" ( 6, 6).

L'AMOUR DANS LA NOUVELLE ALLIANCE

Jésus, voyant qu'il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : " Tu n'es pas loin du Royaume de Dieu". Et personne n'osait plus l'interroger.

Le scribe a une juste interprétation des Ecritures...mais il n'est pas "dans le Royaume" : il demeure sous l'ancien régime("Dieu donne des lois, l'homme doit les pratiquer"). Comme quoi il ne suffit pas de connaître la lettre des commandements...et son catéchisme !

Car une révolution radicale va se produire quelques jours plus tard. Parce qu'il va vivre en plénitude ce double amour (écartelé sur la croix par les deux dimensions de la charité), Jésus va s'offrir pour le pardon des péchés. Au Golgotha, il va prouver définitivement l'extraordinaire Amour de Dieu pour les hommes et , dans l'Eucharistie, donner l'Esprit à ses disciples. Libérés de leur faiblesse, de leur lâcheté, de leur nationalisme, ceux-ci vont expérimenter que la CROIX est la clef qui ouvre la porte de la prison de leur égoïsme pour leur permettre d'entrer dans le ROYAUME DE DIEU ENFIN OUVERT. Sous le même appel à l'amour, Ils vont quitter le régime d'une religion légaliste et réglementaire car le souffle de la grâce les rendra capables d'aimer et d'être communauté, "corps vivant du Christ".

Ce bon scribe fera-t-il le passage ( pâque) ? Se convertira-t-il ?... Et nous, avons-nous découvert la source ? En restons-nous à une Eglise d'observances ("qu'est-ce qu'il faut faire ?") ou, bouleversés par l'amour fou du Christ et poussés par le souffle de son Esprit, nous donnons-nous à un amour total ?...