Très souvent, des personnes rencontrées lors de mariages me demandent : « Doit-on vous appeler « Père » ou « Frère » ? Je pourrais aujourd'hui leur répondre avec les paroles mêmes de Jésus dans l'évangile de ce jour : « Ne donnez à personne sur terre le nom de Père, car vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est aux cieux ». Je ne suis donc pas « Père » ; je ne suis pas votre père, mais votre frère.
Est-ce là seulement une convenance ou une formule de politesse. Est-il indifférent d'appeler un prêtre « père » ou « frère » ? Non, réponde aujourd'hui Jésus. Car ceux qui aiment se donner le nom de « père » aiment également en avoir les droits sur ceux qu'ils considèrent donc comme des enfants. Être père revient alors à vouloir éduquer les autres, à leur donner des repères. Donner des repères ! Combien de fois encore j'entends des gens bien intentionnés se plaindre de l'absence de repères dans la société d'aujourd'hui ! Tout fout le camp ! Il faut donc des repères ! Et c'est bien ce que fait l'Eglise en général : elle dit ce qu'il faut faire et ne pas faire, ce qu'il faut croire et ne pas croire, ce qu'il faut penser et ne pas penser. Les autorités, les « Pères » connaissent la vérité et la morale. Et ils l'écrivent à nouveau dans des petits catéchismes ! N'avons-nous pas souvent l'impression qu'ils « lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens » !
Le pharisaïsme contre lequel Jésus s'est toujours insurgé n'est pas mort ! Il existe toujours comme une tentation à laquelle nous tombons tous, particulièrement ceux qui ont reçu la charge de servir leurs frères et s½urs. Nous confisquons encore aujourd'hui la Parole de Dieu ; nous l'empêchons de produire des fruits de liberté parce que nous la paralysons dans le formol des observances et des prescriptions. Au lieu d'écouter Dieu, le seul enseignant de la Vie et de l'Amour, voilà que nous devons passer notre vie de foi à écouter les encycliques, les bulles et les rescrits apostoliques.
Mais, crie Jésus, seul un Dieu d'Amour est véritablement Père ; un Père qui est source de Liberté profonde. Alors, on peut être à l'écoute d'un tel Dieu. Car à l'écoute de Dieu, rien ni personne ne peut nous lier, rien ni personne ne peut nous enfermer. Quelle perversion de l'Evangile et de l'Eglise quand on distingue les enseignants des enseignés ; de ceux qui ont le pouvoir de la parole et de l'intelligence contre ceux qui ne peuvent rien comprendre à Dieu. Aujourd'hui encore, Jésus s'insurge : « Ne vous faites pas non plus appeler maîtres ! » Apprenez à nouveau que le Royaume de Dieu est comparable à une petite graine ou à un peu de levain : il repose au fond de chacune de nos vies. Apprenez de nouveau que le Royaume de Dieu est destiné d'abord aux publicains et aux pécheurs ! Apprenez de nouveau que ce ne sont pas ceux qui disent « Seigneur ! Seigneur ! qui entreront dans le Royaume, mais bien ceux qui font la volonté de leur Père qui est aux cieux !
Si nous sommes tous frères les uns des autres, c'est donc que nous sommes tous responsables les uns des autres. Surtout responsables de ne pas charger avec des fardeaux trop lourds les épaules de ceux qui cherchent Dieu ou qui ne le cherchent pas. « Vas à la messe ! N'oublie pas de faire ta prière avant d'aller dormir ! Obéis à l'Eglise ! Faisons attention avant de demander aux autres ce que nous ne faisons que remuer du bout du doigt. Car la foi ne se laisse découvrir que de l'intérieur ; c'est donc de l'intérieur que nous pouvons aider quelqu'un à grandir dans sa foi. Aucune pratique extérieure ne compte si elle n'est pas portée par la vie. Ouvrons dès lors les yeux sur la vie de nos frères et s½urs et réjouissons-nous de ce qu'ils sont proches de Dieu ! Et qu'ils peuvent donc nous aider, comme des frères et non pas comme des pères, à découvrir jour après jour l'amour de Dieu.
Un prêtre n'a pas reçu une révélation spéciale sur Dieu. Ses études consistent à se mettre à l'écoute de la parole de Dieu. Mais elle est la même pour vous comme pour moi. Si je peux vous servir, c'est uniquement en vous rappelant cette source de vie et de liberté. Mais je ne sais pas plus que vous ; je cherche comme vous. Mais malheur aux prêtres quand ils font « de la Loi une occasion de chute pour la multitude ! »