31e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2004-2005

Ceux qui parlent avec suavité du "doux Jésus" n'ont sans doute jamais lu le chapitre 23 de S.Matthieu : quelle volée de bois vert contre les Pharisiens ! La tension montait sur l'esplanade du temple de Jérusalem depuis que Jésus, dès son arrivée, avait chassé les marchands. Chaque jour, il expliquait son message au peuple tandis que ses adversaires tentaient de mille manières de le prendre en défaut afin de le disqualifier.

A la suite des controverses lues ces derniers dimanches, voici qu'éclate en finale la colère de Jésus. Avant d'écouter ce texte (dont la liturgie n'offre que le début), il faut faire quelques remarques préliminaires.

D'abord reconnaître qu'il y a généralisation indue : on va sans cesse parler "des pharisiens" alors que probablement tous n'avaient pas les défauts qu'on leur reproche. Ce qui est dénoncé, ce ne sont pas des personnes (jamais nommées) mais un état d'esprit, une attitude qui, sous couvert de religion, fausse absolument la foi. Et ce qui aggrave au maximum, c'est que ces hommes se présentent comme des modèles à suivre et donc détournent les gens simples du vrai rapport à Dieu.

Autant Jésus se montre patient et plein de miséricorde pour les pécheurs tombés par faiblesse et avouant leurs fautes, autant il est virulent à l'égard de ceux qui, sous couvert de piété, caricaturent et déforment la religion. La charité ne tolère pas le mensonge.

Ensuite n'oublions pas que Matthieu écrit son évangile dans les années 85 : après le choc de la défaite et la destruction du temple par les Romains (en 70), les pharisiens et leurs maîtres demeurent l'autorité centrale autour de laquelle le judaïsme se reconstitue. Alors éclatent des affrontements très durs entre ces tenants de la Loi et les jeunes communautés chrétiennes que la Synagogue rejette comme hérétiques. Souffrant de cette exclusion, Matthieu durcit les traits et dépeint les Pharisiens de façon très noire.

Et cela d'autant plus qu'il constate que "le pharisaïsme" n'est pas réservé à Israël, mais qu'il est une attitude, un comportement qui s'introduit peu à peu chez certains disciples de Jésus. D'où son devoir de dénoncer un virus dont il voit les ravages récurrents.

Quels sont donc les péchés que l'on nomme "pharisaïsme" ?

DIRE SANS FAIRE

Jésus déclarait à la foule et à ses disciples : Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Pratiquez donc et observez tout ce qu'ils peuvent vous dire. .

Mais n'agissez pas d'après leurs actes car ils disent et ne font pas

La Loi d'Israël n'est pas abolie par l'Evangile et il faut continuer à l'expliquer et à la transmettre. Il est important qu'il y ait des maîtres, des catéchistes, des enseignants. Mais Jésus dénonce l'hypocrisie des beaux parleurs qui donnent des leçons aux autres sans pratiquer eux-mêmes ce qu'ils enseignent.

UN CUMUL DE PRESCRIPTIONS

Ils lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens -.

mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt

Le mouvement pharisien était né d'une bonne intention : pour combattre le laisser-aller de beaucoup, on voulait regrouper de bons croyants, des hommes zélés, appliqués à observer tous les détails de la Loi divine. Mais cette casuistique, avec le temps, aboutissait à un durcissement de la Loi, se perdait dans des minuties et voulait imposer au peuple une pratique religieuse pesante, insupportable. La Loi devenait un fardeau écrasant. Il fallait "être en règle" et on ne l'était jamais !

Jésus, lui, voulait revenir à l'essentiel : c'est pourquoi il avait lancé un jour : " Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau et moi, je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école car je suis doux et humble de c½ur" (11, 28). Et chez lui la vie était toujours conforme à la Parole.

LES PRATIQUES OSTENTATOIRES

Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes : ils portent sur eux des phylactères très larges et des franges très longues ; ils aiment les places d'honneur dans les repas, les premiers rangs dans les synagogues, les salutations sur les places publiques, ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.

Puisque Dieu demandait dans la Bible que l'on garde bien en tête ses préceptes, sans les oublier, l'usage s'était répandu de placer sur le front un sachet contenant un écrit avec quelques versets ("phylactères") ; on se couvrait aussi d'un châle de prière qui portait des houppes aux extrémités. Les pharisiens, eux, pour bien montrer qu'ils étaient les meilleurs croyants, augmentaient les dimensions de ces signes religieux. Connus pour leur science théologique, leurs cours, leur éloquence, certains étaient des personnalités révérées que l'on faisait avancer au premier rang, à qui on décernait des titres honorifiques...ce qui n'allait pas sans flatter leur amour-propre. Déjà dans sa première instruction (Sermon sur la Montagne), Jésus dénonçait ces pratiques ostentatoires : " Gardez-vous de pratiquer votre religion devant les hommes pour attirer leurs regards..."(6, 1...). Ce n'est pas l'admiration des gens qu'il faut chercher, mais leur conversion et cela n'est possible que s'ils voient des croyants humbles et une Eglise débarrassée du faste spectaculaire.

UNE EGLISE D'HUMILITE

Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi car vous n'avez qu'un seul enseignant et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de Père, car vous n'avez qu'un seul Père qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus appeler maîtres car vous n'avez qu'un seul maître, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur..

Qui s'élèvera sera abaissé, et qui s'abaissera sera élevé

Comment ne pas sourire en lisant ces paroles de Jésus...et en entendant les titres en usage dans son Eglise !? Réjouissons-nous : il y a eu des progrès par rapport à un temps pas si lointain...Et espérons : peut-être verrons-nous encore la suite du toilettage, le prolongement du mouvement initié par le cher pape Jean XXIII qui voulait une Eglise servante et pauvre, où les ministères ne sont pas des charges honorifiques mais d'humbles services.

Si vous désirez poursuivre la dénonciation des péchés des pharisiens et donc connaître a contrario le portrait de l'Eglise telle que Jésus la voulait, lisez la suite du chapitre. A huit reprises, Jésus lance "Malheureux vous..." : ce ne sont pas des condamnations mais des lamentations, des plaintes qui font l'antithèse des huit béatitudes qui ouvraient le Joyeux Message de Jésus.

Seigneur, guéris-nous de l'hypocrisie, de la vanité et de l'orgueil. Que notre seul signe soit ta Croix ; notre seul titre, enfants de Dieu.