32e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

En Israël, la controverse qui existait entre les Pharisiens et les Sadducéens au sujet de la résurrection des morts réapparaît ici en St. Luc entre Jésus et ces mêmes Sadducéens. Ces débats le prouvent, il n'était pas plus facile de croire en la résurrection en ces temps anciens qu'aujourd'hui !

Dans l'histoire du peuple juif, comme dans l'histoire religieuse de l'humanité, la foi en la résurrection fut progressive, ardue et en fait, relativement récente. Même pour Platon, qui sur ce point fut d'ailleurs peu suivi, l'immortalité de l'âme et son éternité n'étaient qu'une opinion. C'est un beau risque, car par cette croyance l'homme émerge... Il vient d'un au-delà du monde pour aller vers un « par-delà le monde ». Pour les stoïciens, l'esprit ne demeurait d'ailleurs qu'un certain temps.

En Israël, cette notion de résurrection ira de la longévité des patriarches (ils sont comme immortels) à l'immortalité de la race, du retour de certains personnages particuliers ( sont-ce eux ou un personnage ayant ses caractéristiques ! ?) à la conception d'un nouvel Israël. Elle variera d'un certain triomphe par-delà la mort du Serviteur souffrant, aux idées apocalyptiques lors des persécutions des Antiochus 4 et 5 aux deux derniers siècles qui parlent de la résurrection à partir du sens théologique du Dieu vivant et non à partir d'une réflexion anthropologique sur la spiritualité de l'Esprit. L'amour du Dieu Vivant, étant éternel, il peut susciter un homme nouveau. Le Dieu Vivant, source de vie, qui a engagé sa sainteté dans l'histoire d'Israël, et qui est don et grâce, peut, quand et comment il le veut, rendre vie à ceux qui sont dans la vie diminuée du shéol. C'est un don qui est le fondement du sens de la Résurrection. Ce qui est pur don, esprit et vie, Dieu, le Dieu fidèle, celui des Promesses et de l'Alliance, peut le rendre dans sa miséricorde infinie. Donc, la conception biblique de la résurrection est confuse, non partagée par tous, même à l'époque où le Christ apparaît, et elle est tardive, du moins dans sa conception d'une véritable survie personnelle.

C'est réellement à partir de la résurrection de Jésus que cette croyance s'affirme comme évidente, primordiale et fondamentale. Si le Christ n'est pas ressuscité, vaine est notre foi, écrira St. Paul (1Cor.15). La foi en la résurrection du Christ est le gage de la nôtre.

De nos jours encore, la foi en la résurrection ne paraît pas évidente. Pour certains, l'être humain ne survivrait que dans ses enfants ou le souvenir des êtres chers et la mémoire des amis. Pour d'autres, qui ne croient qu'à ce qu'ils voient ou comprennent, comment prétendre parler de quelque chose qui échappe totalement à notre entendement ? Pour certains encore, la perspective de la réincarnation paraît plus séduisante à deux titres. En premier, elle serait plus fondée scientifiquement, ce serait l'explication de souvenirs de choses jamais vues, de rencontres prétendues avec des personnages historiques anciens, d'inexplicables impressions de « déjà vu », d'accidents morphologiques rappelant ceux d'ancêtres, explication enfin, de génies précoces ou de souvenirs d'un passé qui n'est pas le leur. La croyance en la réincarnation serait mieux harmonisée pour d'aucuns avec leur refus de l'absence des morts ou pour conjurer l'angoisse de la mort ou encore, une consolation à leur soif de justice devant les inégalités terrestres ou enfin, une chance nouvelle et une culture d'épanouissement et de progrès moral à l'encontre de la brièveté de la vie. On peut si peu en une seule vie !

Mais ne mettons pas trop vite de côté les opinions de nos contemporains. C'est qu'ils partent d'expériences humaines pour évoquer des relations fortes, connues ici-bas : la relation homme et femme ( c'était l'optique des Sadducéens), la relation parents-enfants, les relations de fraternité ou d'amitié. Au-delà d'options parfois rocambolesques, comment ne pas, avec eux, se poser des questions au sujet de ces relations précieuses entre toutes : que deviennent- elles après la mort ? S'il est prouvé que nos relations humaines nous constituent en profondeur, comment ne pas croire et affirmer qu'elles se poursuivent après la mort d'un chacun ?

Jésus, lui, est convaincu de la résurrection. Et s'il en est ainsi c'est qu'il parle à partir d'une toute autre expérience, celle d'une relation la plus fondamentale et constitutive qui soit, la relation filiale à Dieu. Le mot « frère » revenait explicitement à 4 reprises dans le raisonnement des Sadducéens. Le mot fils revient 4 fois sur les lèvres de Jésus.

Dans sa réponse, Jésus aborde deux questions relatives à la résurrection, celle de son principe même : le fait oui ou non de la résurrection, et celle de ses modalités, du comment de celle-ci. Ce n'est pas d'abord à la question de principe que Jésus répond. Sa démarche est plus psychologique, plus pédagogique. Si même nous croyons à la survie, nous ne cessons de nous interroger sur le comment de celle-ci. Comment cela se passera-t-il ? Comment serons-nous dans l'au-delà ? Et notre ignorance en ce domaine justifie notre scepticisme quant à la question de principe : « Peut-on envisager une résurrection des morts ? »

Jésus répond, il faut bien le dire de façon quelque peu étrange, d'une manière vague et floue : les ressuscités sont comme des anges dans le ciel. Comme personne n'a jamais vu un ange, nous ne sommes guère plus instruits ! Mais comment faire autrement puisque personne non plus n'a jamais eu l'occasion de rencontrer un ressuscité ? Quand Jésus s'exprime ainsi, il veut simplement dire ceci : de même que les anges se situent dans la sphère de Dieu, même s'ils appartiennent aussi à notre monde en y jouant leur rôle, les ressuscités évoluent dans le monde divin et leur condition dans ce monde-là nous échappe totalement. L'état et l'activité des élus relèvent du mystère-même de notre Dieu Trine : Père, Fils et Esprit. En ce domaine, faisons confiance au maître de l'impossible qui nous recréera en notre intégrité plénière. Ayons foi au Dieu de Vie ! Il n'est pas le Dieu des morts mais des vivants, dira St. Paul, et son ingéniosité nous surprendra autant que nous ravit le papillon quittant sa chrysalide.

Jésus en vient alors à la première des 2 questions : la résurrection existe-t-elle ? Pour étayer sa position, Jésus raisonne à la manière des rabbins, qui nous est étrangère. La voici : si Moïse parle du Seigneur- Dieu, comme « Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob », c'est que ces deux patriarches sont encore et toujours vivants pour Dieu. En exprimant la même chose dans nos mots à nous, nous dirions : le Dieu des promesses, le Dieu de l'Alliance, le Dieu fidèle, l'Eternel, le Dieu d'Amour est un Dieu sans repentance. Quand Dieu donne son amour, il ne le retire pas. Dieu est fidèle jusqu'au bout. L'alliance personnelle avec chacun d'entre-nous est comme un engagement qu'il prend à notre égard, inspiré par l'amour, il traverse la mort comme éternel est son amour. Il nous suscite à la vie, pour un temps sur cette terre, pour toujours dans l'éternité du ciel.

La péricope évangélique de Luc se termine par ces derniers mots : « les ressuscités vivent pour Dieu » Le mot « pour » peut prendre deux significations qui, loin de s'exclure, se complètent. Le premier sens a Dieu pour sujet. Selon Dieu, de son point de vue, pour ce qui est de Dieu, les Patriarches, plus largement les ressuscité vivent, ils sont vivants aux yeux ses yeux ! Dieu les considère comme toujours vivants.

Le second sens a les morts, les ressuscités pour sujet. C'est la relation à Dieu qui fonde l'existence actuelle des Patriarches par-delà la mort. C'est Dieu qui oriente encore le désir des morts au-delà de la mort. Telle était la conviction de Paul : « Aucun de nous ne vit pour soi-même et aucun de nous ne meurt pour soi-même, si nous vivons nous vivons pour le Seigneur et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. » (Rom.14, 7-8) Aussi, nous de même sur cette terre, vivons-nous et mourrons-nous pour Dieu. Rendons vivante, de notre vivant, notre relation avec le Dieu Vivant ! Alors, soyons en sûr, notre relation filiale, entretenue avec lui, nous fera ressusciter et nous fera vivre par-delà la mort, éternellement. Nous serons tous réunis avec le Dieu de toute félicité, là où la douceur de vivre prendra la ferveur heureuse des choses qui ne peuvent finir.