L'ultime instruction de Jésus à ses disciples avant d'aller à la mort est un appel à la vigilance. Dans la nuit du monde qui continue sa course, dans la succession des calamités et les tempêtes des persécutions - et alors même que l'"amour se refroidit chez beaucoup" (24, 12)-, il s'agit de tenir bon, de garder sa lampe allumée, de continuer d'attendre non la fin du monde mais l'arrivée d'un Dieu qui nous introduira dans la lumière éternelle de l'Amour (parabole des 10 jeunes filles)
Cette attente ne se réduit pas à une vague idée que l'on garde du catéchisme : la vigilance est un engagement total, une mise en ½uvre de nos responsabilités. C'est pourquoi une autre parabole enchaîne directement avec la précédente : celle des talents.
LE SEIGNEUR NOUS FAIT CONFIANCE
Un homme qui partait en voyage appela ses serviteurs et leur confia ses biens. A l'un, il donna une somme de 5 talents, à un autre 2 talents, au troisième un seul - à chacun selon ses capacités. Puis il partit.
Jésus n'est donc pas simplement un héros qui a marqué l'histoire, un grand personnage dont il faut garder le souvenir : Il a bien inauguré une réalité nouvelle - le Royaume de Dieu -, il y a fait entrer des hommes et des femmes à qui il a donné son message et son Esprit. Ils étaient donc la cellule première d'un Corps qui doit s'étendre jusqu'aux extrémités du monde et croître jusqu'à la fin des temps.
Tous ceux et celles qui acceptent d'entrer dans ce Corps sont bien plus que des membres d'une société religieuse : par la foi et le baptême, ils reçoivent des dons d'une importance extraordinaire et signifiés ici par le mot "talent".
A l'époque, et au sens premier du mot, un "talent" ne désigne pas une qualité personnelle, un don naturel mais une somme d'argent considérable : 6000 francs-or, soit près de 20 ans de salaire d'un journalier de ce temps-là !
La réconciliation obtenue par la Croix, la Vie divine offerte par la résurrection, le feu de l'Esprit, le baptême et l'Eucharistie ne sont pas des petits agréments de la vie : ce sont des cadeaux d'une valeur inestimable que jamais nous ne pourrions nous constituer.
Mais ce sont également des dons qui ne peuvent dormir, que nous ne pouvons capitaliser et conserver tels quels.
Ces dons du Christ sont répartis inégalement sans que nous puissions demander des justifications : chacun reçoit "selon sa capacité".
Nous ne pouvons donc pas nous comparer les uns aux autres ni nous jalouser mais, bien plutôt, nous épauler afin de travailler ensemble sans esprit de concurrence.
FAIRE FRUCTIFIER
Aussitôt celui avait reçu 5 talents s'occupa de les faire valoir et en gagna 5 autres. De même celui qui avait reçu 2 talents en gagna 2 autres.
Mais celui qui n'en avait reçu qu'un creusa la terre et enfouit l'argent de son maître.
Les deux premiers serviteurs comprennent tout de suite que la foi chrétienne n'est pas un dépôt à conserver précieusement, un credo à mémoriser, quelques rites à suivre, un label de bonne conduite mais qu'elle déclenche chez le vrai croyant le désir incoercible de la faire fructifier. Un tel a le don exceptionnel de faire des choses miraculeuses, un autre a le don d'une compassion qui le rend proche des malades et souffrants, l'un a le sens de la liturgie, l'autre accroche très bien avec les jeunes, etc....Chacun a son " charisme ".
Une communauté chrétienne est ainsi un espace où, sans acrimonie ni rivalité, dans une émulation fraternelle, tous s'activent en vue de réaliser le projet du Seigneur.
Et le responsable de communauté n'est pas celui qui veut tout faire en appelant les autres à lui obéir : au contraire son charisme à lui est d'aider ses frères et s½urs à discerner leurs propres dons, à encourager les plus timorés et à les rendre tous solidaires dans une tâche commune : que le dessein de Dieu s'accomplisse, que l'humanité découvre et vive la Bonne Nouvelle.
RENDRE COMPTE
Longtemps après le maître revient et il leur demande des comptes. Le premier dit : " Seigneur, tu m'as confié 5 talents, j'en ai gagné 5 autres - Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en peu de choses, je t'en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître".
De même pour le 2ème : il a gagné 2 talents et en rapporte 2 autres. Il reçoit la même récompense.
Le 3ème s'avança : " Seigneur, je savais que tu es un homme dur, tu moissonnes là où tu n'as pas semé. J'ai eu peur et je suis allé enfouir ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t'appartient.
Son maître répliqua : " Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n'ai pas semé...Alors il fallait placer mon argent à la banque et, à mon retour, je l'aurais retrouvé avec les intérêts.
Enlevez-lui son talent et donnez-le à celui qui en a 10. Car celui qui a recevra encore et celui qui n'a rien se fera enlever même ce qu'il a. Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dehors dans les ténèbres : là il y aura des pleurs et des grincements de dents."
D'emblée nous serions pris de pitié pour ce pauvre homme qui avait reçu moins que les autres et qui est puni si durement. Mais justement Jésus veut nous prévenir : le grand danger qui nous guette, c'est d'estimer que "nous ne sommes pas doués", que nous n'avons pas de talent - et donc que nous n'avons pas de comptes à rendre !!.
Fausse modestie pour excuser notre inertie, notre peur de l'engagement, notre paresse !
Le péché de ce serviteur "mauvais et paresseux"- le nôtre, qui prétendons ne pas être de grands saints ! -, ce n'est pas d'avoir commis de vilaines choses, d'être tombé dans le vice : il est de N'AVOIR RIEN FAIT, d'avoir laissé son don en friche.
Des parents ne peuvent jamais dire à leur enfant qu'il n'est bon à rien. De même Dieu ne crée pas des inutiles : seule notre société païenne ose rejeter certains comme marginaux et incapables.
Ce serait faire injure au Seigneur de lui reprocher de ne nous avoir rien donné. Chacun a reçu. L'un plus, l'autre moins. Peu importe. Dieu a ses raisons et nous sommes tous promis à la même joie.
Imaginez une paroisse ordinaire, sans personnalités d'envergure, sans grandes ressources...mais où au moins quelques-uns commenceraient à mettre en pratique le don de Dieu : quel changement !
Car y a-t-il ¼uvre plus merveilleuse, plus essentielle, plus urgente qui soit en train de se dérouler dans notre histoire : accueillir l'humanité dans le Royaume du Père, proclamer en actes et en paroles la Bonne Nouvelle ? Nous en sommes les acteurs.
Pour entrer un jour dans la Joie incommensurable du Seigneur, il nous faut entrer aujourd'hui dans la lutte.