34e dimanche ordinaire, année A (Christ Roi)

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2004-2005

Ce matin, en me rasant, j'ai vécu une expérience mystique d'une telle intensité que je ne peux m'empêcher de vous la partager. J'étais devant mon miroir et je me suis dit : « et dire que ce visage est aussi visage de Dieu ». Mon visage, vous vous imaginez. Quelle prétention, pourront dire certains. Et pourtant, chaque visage, expression visuelle de notre être, est signe de la présence divine sur cette terre. Toutes et tous, de par le simple fait de notre condition humaine, nous sommes visages de Dieu. En vous regardant, je me dis que Dieu s'exprime à moi par vos visages. Alors, la prochaine fois que nous passons devant un miroir, je nous invite à nous dire : « bonjour, Dieu ». Toutefois, de tels mots ne peuvent être prononcés s'ils sont de simples mots. Ils n'ont de sens que s'ils s'enracinent dans notre nature profonde lorsque cette dernière dévoile par nos actes et nos paroles une partie de la divinité. Tel semble être le message proposé par l'évangile entendu ce jour (ce soir).

Une fois encore, le Christ nous rappelle avec force que la vie ne se vit pas dans l'exceptionnel, dans l'extraordinaire. Dieu n'a que faire de nos gloires éphémères. Il ne recherche nullement les actions d'éclat. Il nous attend tout simplement dans le quotidien de nos existences, c'est-à-dire lorsque nous refusons de nous enfermer en nous-mêmes dans notre petit confort et ce, afin de nous tourner vers l'autre. En effet, c'est dans l'altérité que Dieu aime se laisser rencontrer. Comme s'il y avait en chacune et chacun de nous un élan mystérieux qui nous pousse à sortir de nous pour partir à la rencontre de celles et ceux qui croisent la route de nos vies. Dieu se laisse rencontrer dans la rencontre de l'autre. Et lorsque j'entre dans une telle dynamique divine, tout être humain acquiert autant de valeur auprès du Père que celle de son propre Fils. En nous laissant seuls, expérimentant la force de la liberté face à la destinée du monde, Dieu nous confie une très lourde responsabilité. D'une certaine manière, il a choisi de ne plus exercer sa toute puissance de maîtrise et de domination pour laisser tout l'espace nécessaire à tout être humain afin que celui-ci accomplisse la tâche qui lui a été confiée. D'aucuns prétendent que, depuis plusieurs siècles, Dieu semble souvent bien silencieux face aux détresses de notre humanité. Et ils ont sans doute raison s'ils attendent que Dieu, le Père, dans le Fils et par l'Esprit, se mettent à tout régler de leur côté. Une telle attitude peut conduire à une déresponsabilisation de l'être humain qui s'en remet pleinement à Dieu et qui se met à croiser les bras en attendant que quelque chose de magique se produise. Accepter cette philosophie de vie, ferait de nous des spectateurs de nos existences et non plus des acteurs. Or, comme le souligne l'évangile, Dieu nous attend dans la manière dont nous accueillons celles et ceux de qui nous nous faisons proches en répondant à leurs besoins alors que ceux-ci sont souvent élémentaires : loger, nourrir, vêtir, visiter. Non seulement, il nous attend là mais il a besoin de nous.

En effet, si Dieu peut parfois nous sembler bien silencieux, c'est parce que nous ne sommes plus là où nous devrions être : trop pris par les soucis de la vie, parfois enfermés dans un individualisme ambiant, aveuglés par la détresse des autres. En quelque sorte, nous serions devenus des paralysés de l'existence. Or Dieu nous veut debout, en marche, c'est-à-dire partis à la rencontre de celles et ceux qui sont confrontés à diverses expériences douloureuses qu'elles soient physiques, mentales ou émotionnelles. Il semble que ce soit la meilleure manière qu'il ait trouvée pour ½uvrer en notre monde. Nous sommes donc bel et bien responsables du silence ou de la cacophonie de Dieu. En d'autres termes, si Dieu est silencieux, c'est parce que nous refusons de nous tourner vers les autres pour les accompagner sur le chemin de leurs destinées. Si, par contre, Dieu devient bruyant en notre monde, c'est parce que nous avons décidé de vivre de cette foi qui habite au plus profond de nous-mêmes en nous tournant vers celles et ceux en qui le Père a choisi de se révéler dans leur propre vulnérabilité. Notre inaction, notre désintérêt des êtres qui nous entourent rend Dieu muet. Notre souci de la souffrance des personnes rencontrées, notre empathie, notre volonté de transformer le monde en un lieu d'amour et de tendresse rend Dieu présent au c½ur de notre humanité. S'il en est ainsi, puissions-nous chacune et chacun, avec les dons que nous avons reçus, devenir des chahuteurs d'amour, des chahuteurs de tendresse car c'est par le biais de ce type de chahut que Dieu vit en nous et autour de nous. Amen.