Dans ma vie, je n'ai jamais eu aussi peur qu'une nuit à Rixensart. J'étais louveteau et nous étions venu de Braine-l'Alleud passer un week-end dans cette charmante commune du Brabant wallon. C'était au cours d'un jeu de nuit terrfiant. Nous étions dans les bois du Château et nous avions tous peur, très peur. Du groupe, j'étais sans doute celui qui a eu le plus peur. Je me suis d'abord caché pour être certain de ne pas être attrapé. Mais ma peur était toujours là. Alors, j'ai pris mon courage à deux mains, le courage d'un enfant de 10 ans et je suis sorti du bois. Je suis allé sonner à une maison où il y avait encore de la lumière, avenue de Terlinden je crois. Et là, j'ai demandé de pouvoir appeler la police. Ce que le propriétaire a gentiment fait puis avec moi, sur le parking en face de cette Eglise (de l'Eglise Ste Croix) nous avons attendu le combi de la gendarmerie. C'était un jeu de nuit, un simple jeu de nuit. Et j'ai eu tellement peur. J'en ris aujourd'hui quand je revois la tête paniquée des animateurs à la vue du gyrophare. C'était au départ leur jeu, avec les gendarmes, il était devenu le mien.
Pourquoi vous racontez cette histoire, me direz-vous ? Parce que, je crois que l'histoire des Talents est d'abord et avant tout l'histoire d'une peur. Et des peurs, nous en avons toutes et tous. La première chose à faire, est d'abord de se l'avouer, de ne pas crâner sinon notre aggressivité sera signe de cette peur intérieure. Ayant pris conscience de celle-ci, il y a lieu d'agir nous dit le Christ. A force d'avoir peur, nous risquons de ne plus rien faire à l'image de l'homme qui n'avait qu'un seul talent. Cet homme a manqué d'audance et de confiance. Il n'a pas pris ses reponsabilités. Nous ne sommes pas sur terre pour subir la vie mais pour la vivre à fond et pour ce faire, il y a parfois des risques à prendre. Refuser d'agir au nom de la peur, c'est donner un terrible pouvoir à l'autre et c'est ne pas utiliser sa liberté. Si je ne fais rien à 15 ans parce que j'ai peur d'être renvoyé alors que j'assiste à une injustice. Si je ne fais rien à 40 ans, parce que j'ai peur de perdre mon emploi. Ou encore, quand j'ai vu quelque chose qui m'a choqué et j'ai failli réagir mais je n'ai rien fait. Des si, si, et si et des j'ai failli jalonnent nos vies. Mais alors quand serais-je libre ? A 65 ans ? Non parce qu'à ce moment là je commencerai à avoir peut-être peur de la mort ? Malgré nos fragilités, nos peurs sont à dépasser. Elles ne doivent pas guider nos vies. Un être qui a peur, enterre sa vie parce qu'il a trop peur de la perdre. Or, une seule vie nous a été donnée, ne passons pas à côté de celle-ci. Elle vaut tellement la peine d'être vécue en plénitude.
Pour ce faire, il nous suffit de repartir des talents, des dons que chacune et chacun nous avons reçus. Peu importe leur nombre, exploitons ce que nous avons, même si cela nous semble tout petit. De toute façon, nous avons toujours l'impression que ce que les autres ont, c'est mieux que ce que nous possédons et nous en arrivons à oublier ce qui est nôtre, comme si c'était rangé au fond d'une caisse de notre être. Et pourtant pour exister, pour vivre pleinement, le Seigneur attend de nous de faire fructifier les talents qu'Il nous a donnés. Rien de plus, rien de moins. C'est à partir de nos dons que nous pouvons construire la vie que nous souhaitons vivre. Gandhi ne disait-il déjà pas : « sois toi-même le changement que tu veux pour le monde ». Soyons d'abord nous-mêmes. Reconnaissons ce que nous avons puis aimons-nous. Oui, aimons-nous. C'est dans le « je m'aime » que je peux trouver les forces nécessaires pour être moi en vérité, utiliser ma propre créativité pour exister. C'est vrai qu'il y a des lieux qui nous empêchent de développer nos richesses personnelles. A nous de les transformer pour qu'ils deviennent eux aussi des lieux invitant à la simplicité, à la spontanéité et donc au refus de posséder ce qui ne nous a pas été donné. Il faut alors arrêter en nous cette machine infernale de passer son temps à tenter d'acquérir les dons des autres. Certains prétendent qu'améliorer ce que nous avons, c'est trop facile. Je crois sincèrement qu'ils se trompent en disant cela. Nous ne sommes pas sur terre pour souffrir mais pour grandir et vivre. Essayons d'abord de prendre ce temps qui nous est donné pour faire fructifier ce qui est à nous, ou plutôt ce qui est nous. Alors et alors seulement nous pourrons devenir qui nous sommes et au retour, de son voyage, sans peur, nous pourrons répondre à la question de Dieu : qu'as-tu fait des dons que je t'ai donnés ?
Amen.