34e dimanche ordinaire, année A (Christ Roi)

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

S'il y a bien quelque chose que je trouve énervant, voire même insupportable dans la vie, c'est le football. Je n'arrive pas à comprendre comment 22 types peuvent s'amuser à courir derrière un ballon devant des milliers de gens qui, dans les gradins, gesticulent, hurlent, chantent et même parfois, mangent des boudins blancs dans des pistolets, tout cela cuit le long du terrain. J'ai vécu un match Anderlecht-Standard à 14 ans et j'en suis encore marqué. C'était la première et la dernière fois que j'assistais à ce genre de rencontre. C'était presque trop pour moi. Même le Mondial ne fait vibrer aucune fibre patriotique en moi. Je dois vous avouer que je suis même content lorsque les belges perdent, au moins je n'entendrai plus parler de ce sport. Pire encore, lorsqu'il m'arrive de passer devant une télévision et d'entendre un footballeur interrogé par le journaliste, je le supplie intérieurement de se taire et de retourner le plus vite possible jouer sur le terrain. N'essayez pas de me raisonner, c'est peine perdue. D'autres l'ont tenté avant vous. Mes sentiments à l'égard de ce sport et des professionnels qui en vivent, sont tout à fait irrationnels. Une fois pour toute j'ai décidé que je n'aimais pas, c'est mon côté sale gamin.

Pour moi, c'est le foot ; pour vous, c'est sans doute autre chose. Mais dans la vie, il y a toujours des catégories de personnes qui nous énervent, nous irritent et nous aimerions tant qu'elles ne croisent pas notre chemin. Il y a celles qui sont trop différentes de nous et que nous n'arrivons pas à comprendre, puis celles qui nous ressemblent trop et qui nous montrent une partie de nous-mêmes que nous n'aimons pas. Il y a aussi ces individus qui nous ont blessés, parfois humiliés et nous avons pas été capables de nous défendre. La liste des gens que nous n'apprécions pas spécialement peut parfois être longue. A quelques exceptions près, elle est souvent irrationnelle vous disais-je. C'est comme cela, c'est plus fort que moi, entendons-nous dire. Et tous les discours moralisateurs qui jalonnent notre vie n'y ont rien fait. Ce sentiment négatif nous colle à la peau. Si nous avons étiqueté l'autre d'imbécile, il est difficile de changer d'avis. Tant pis pour lui, tant pis pour nous : un peu comme si je me disais, tu es né au royaume des cons et bien tu y mourras. Un brin de mépris, comme si en le rabaissant à mes yeux, je vaux mieux qu'elle ou lui. Et en bon chrétien, j'aurai beau me dire que dois changer mon attitude, que je dois aussi l'aimer puisque c'est ce que le Christ me demande, rien n'y changera. Les sentiments négatifs sont trop forts. Alors plutôt que de m'enfermer dans une certaine fatalité, je suis invité à méditer l'évangile de ce jour et prendre conscience qu'il y a aussi un peu de Dieu dans les yeux de l'autre. Si j'accepte que Dieu vit en moi, que je suis une de ses nombreuses résidences, je dois également reconnaître qu'il réside aussi même chez celui ou celle qui a moins de valeur à mes propres yeux. Si donc Dieu vit en lui et si je prends tant Dieu que ma foi au sérieux, je peux commencer à prier pour lui. L'effet de la prière, aussi lent puisse-t-il être me transformera de l'intérieur, ouvrira mon regard sur des faces voilées de l'autre. Prier pour celle ou celui qui m'irrite, qui est trop différent, c'est accepter que Dieu l'aime et qu'il vaut la peine. Rarement notre raison brisera les sentiments négatifs. Souvent la prière apaisera notre coeur pour regarder et découvrir l'autre autrement. C'est tout aussi irrationnel, c'est l'Esprit à l'oeuvre en nous.

En Dieu nous trouvons la source de vie qui transforme nos regards vis-à-vis de celles et ceux que nous croisons. Et comme le rappelle l'évangile, Dieu n'attend pas grand chose : juste une visite, un vêtement, un morceau de pain et pourquoi pas un simple sourire. C'est si peu pour nous mais tant pour l'autre. En effet, ces petits gestes quotidiens rendent à la personne rencontrée un peu de sa dignité. Par un petit rien, au delà même des sentiments qui ont pu nous traversé, elle a de nouveau l'impression d'exister pour quelqu'un. Un geste, un simple petit geste et la terre se met à chanter autrement puisque dans celui-ci Dieu est présent : « chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ». Si la prière transforme notre regard, elle est une étape préliminaire pour faire vivre Dieu dans ces petites choses qui font la richesse de la vie et qui donne un goût nouveau à la personne différente ou désemparée. Faire d'une simple rencontre, un lieu de Dieu ? A nous d'en décider.

Amen