Ce samedi 12 février dernier, à ANADU, petite ville du nord du Brésil, une religieuse de la Congrégation des S½urs de Notre-Dame de Namur a été abattue de six balles de revolver par deux tueurs à la solde d'un gros propriétaire terrien. S½ur DOROTHY, d'origine améri-caine, avait 73 ans et depuis 22 ans, elle luttait pour défendre les droits des paysans sans terre qui demandent l'application de la grande Réforme agraire de 1970. Une foule immense, venue de partout, dont 3 Ministres du gouvernement central, se pressait à l'enterrement. On a rappelé que, sur les 20 dernières années, 1250 personnes engagées dans la cause des sans-terre ( avocats, prêtres, laïcs ) avaient été assassinées sans que jamais leurs auteurs, identifiés, soient arrêtés.
LA POLITIQUE DE PHARAON
C'est bien une des horribles constantes de l'histoire de l'humanité : sans cesse et partout, la rage du pouvoir et la soif de l'or transforment des hommes en tyrans acharnés à opprimer d'autres hommes pour manifester et accroître leur puissance.
Ne l'a-t-on pas encore vu chez nous lors de la révolution industrielle du 19ème siècle lorsque certains ont édifié d'immenses fortunes en condamnant leurs ouvriers à une vie inhumaine : salaires insuffisants pour la subsistance de leurs familles, cadences infernales, journées de 12 heures, insalubrité des logements, enfants en-dessous de 10 ans dans les mines ou les filatures, et aucun jour de repos ni dimanche, ni mutuelle, ni pension. ?! Les pauvres durent entreprendre une lutte âpre et dangereuse - dans laquelle plusieurs tombèrent sous les balles du Pouvoir - pour arracher des droits légitimes.
Et parce que certains de ces vampires qui les avaient exploités si longtemps étaient des catholiques, soutenus par un Parti de la même étiquette, et que des prêtres s'étaient compromis avec eux ou s'étaient tus, la classe ouvrière se détourna de l'Eglise. Aujourd'hui encore, après plus d'un siècle et demi, la fracture ne s'est toujours pas refermée.
Cette exploitation des plus faibles est ce que l'on peut appeler "la politique du pharaon". Celui-ci n'est jamais nommé dans le récit biblique de l'Exode car il ne s'agit pas de tel ou tel souverain d'un pays mais d'un symbole qui désigne une puissance dictatoriale, abusant de son pouvoir et traitant en esclaves des êtres humains qui pourtant sont, tous, "créés à l'image de Dieu" et donc d'une dignité inaliénable.
LE PASSAGE DE LA MER
Cet état de fait, cette réduction d'êtres humains à l'esclavage n'est pas une fatalité inéluctable. La Bible raconte que pendant très longtemps les Hébreux durent subir l'oppression parce que la mer formait une barrière infranchissable les empêchant de s'enfuir. Mais rien, pour Dieu, ne constitue un enfermement définitif. C'est pourquoi, après la nuit du repas de l'agneau (Pessah = Pâque), les esclaves parvinrent à s'enfuir. La représentation de notre ancien manuel d' "histoire sainte", reprise par les films à grand spectacle, avec des murailles d'eau dressées et laissant les Hébreux passer à pied sec, est probablement une belle légende inventée par après. Sans doute Moïse, le guide, connaissait-il l'un ou l'autre gué, un endroit par lequel il était possible de passer sans trop de danger.
L'essentiel, c'est que les Hébreux se sont sentis protégés par leur Dieu qui leur ouvrait un passage (une "pâque") afin de recouvrer leur liberté. Arrivés de l'autre côté, les fugitifs explosèrent de joie et se mirent à chanter : " DIEU A LIBÉRÉ SON PEUPLE !..."
LE BAPTÊME = PASSER L'EAU
Maintenant, pour nous, chrétiens, ce passage est réalisé par le BAPTEME dont la pratique, heureusement, est en train de bien évoluer. Au lieu de se confiner à une petite aspersion sur le crâne d'un bébé inconscient, le Baptême redevient ce qu'il était à l'origine : un véritable passage, un saut, la sortie d'une société où règne le droit du plus fort et l'entrée dans un nouveau mode d' existence où les hommes vivent ensemble dans la communion des enfants de Dieu.
Le baptême est une option grave, une décision capitale : il scelle la volonté de sortir du "monde de pharaon" - où des forbans sans scrupules oppriment des êtres humains - afin d'entrer dans ce que Jésus appelait LE ROYAUME DE DIEU, la communauté fraternelle.
RENAîTRE D'EAU ET D'ESPRIT
C'est bien ce que Jésus tentait d'expliquer à Nicodème, ce notable de Jérusalem : " Si tu veux entrer dans le Royaume, tu dois renaître d'eau et d'Esprit".
En effet la foi n'est pas une amélioration de l'honnêteté naturelle ni une série de pratiques religieuses, mais un changement tellement radical que Jésus l'appelle UNE RENAISSANCE.
Seul l'Esprit de Dieu est capable de réaliser pareille merveille : transformer un homme afin qu'il refuse le marasme et l'ignominie d'un monde inique pour commencer à prendre part au monde de Dieu, un monde de droit et de justice, de solidarité et de paix.
S½ur Dorothy : Je ne vous connais pas, je vous découvre alors que vous nous quittez. Menacée de mort depuis des mois, vous aviez décliné l'offre de votre Congrégation de rentrer aux U.S.A. car vous ne vouliez pas abandonner vos frères écrasés par la misère. Je vous remercie de nous montrer, après Jean-Baptiste, Gandhi, Martin Luther King et tant d'autres, que le Christ s'est offert afin de permettre à ses frères et s½urs de quitter les geôles de l'injustice pour se lancer sur la route de l'EXODE. Le monstre peut encore tuer : la brèche est faite, maculée du sang des martyrs mêlé à celui de l'Agneau.
Puisse notre carême - c'est son rôle, son sens, son but - nous rendre capables, au cours de la prochaine Veillée pascale, de renouveler nos engagements de baptême sans mentir.