3e dimanche de Carême, année C

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Chez l'évangéliste Luc les chapitres 12 et 13 sont comme symétriques. Le chapitre 12 est une sorte de large exposé sur la vie. Le chapitre 13 est une longue réflexion sur la mort. Luc aborde ce mystère qu'est pour l'homme l'arrêt de la vie en relatant deux faits divers traitant de la destinée de l'homme. Ceux-ci permettront à Jésus de faire un enseignement sur la relation entre la mort et le péché.

Le premier est un fait rapporté à Jésus par les gens. Ponce Pilate, 5ème. Procurateur de Judée de l'an 26 à 36 a fait massacrer en son temps, des galiléens venus à Jérusalem offrir leur sacrifice. Ils devaient être impurs à ses yeux parce que zélotes nationalistes, les terroristes d'alors ou parce qu'ils étaient des gens au sang mêlé à des non-juifs. Le deuxième fait est fourni par Jésus lui-même. Un jour une tour s'est effondrée à Siloé, un beau quartier du sud -est de Jérusalem, où existait une piscine qu'Hérode avait entourée d'une colonnade. Deux catastrophes. L'une est née du vouloir d'un homme, Pilate, dont les victimes furent des provinciaux. L'autre qui demeure sans explication et qui atteignit les habitants de la capitale.

Commentant ces 2 évènements, la vieille théologie d'Israël refait surface, la vieille spiritualité de la rétribution, à coup sûr, ces victimes le sont parce qu'elles ont péché. Pécheurs, pécheresses : Dieu les punit ! Citant ces évènements, Jésus remet les choses en place. C'est que tous sont pécheurs et que tous sont atteints par la mort. Succombant à la tentation et voué à la mort tel est bien le sort humain de chacun. Personne ne peut tirer une leçon de la chronologie de la mort, on meurt jeune ou âgé, ni de la modalité de celle-ci, mort naturelle ou violente, consciente ou inconsciente, paisible ou angoissée. Nul n'a plus désormais à porter un jugement sur la mort et à en tirer des conclusions religieuses. Une seule chose importe : marcher droit vers le but que l'on atteint différemment. Jésus refuse d'établir un lien entre le péché et la mort. La mort est le secret de Dieu. Secret qui nous sera livré de l'autre côté. Dieu ne condamne pas le pécheur au malheur ni à la mort. Il ne l'enferme pas dans son échec. Pour attester de cela, Jésus nous donne la parabole du figuier stérile. La symbolique juive nous aide à la comprendre.

La vigne est le symbole végétal d'Israël, comme la colombe en est le symbole animal. Le figuier, planté au c½ur de la vigne et qui offrait son ombre aux vendangeurs devient dans la thématique juive le symbole de la loi de Moïse, du temple et du culte, dans ce cas-ci, il s'agit de Jésus lui-même. Le vigneron qui demande un délai symbolise l'extraordinaire patience de Dieu révélée en Jésus-Christ. Le sens de la parabole est clair. La loi, le culte ne produisent pas les fruits de conversion et de sainteté que Dieu en attendait. Mais l'attachement au Christ dans la foi, parce qu'il nous révèle l'amour miséricordieux, peut seul nous soutenir dans notre conversion quotidienne. La parabole est l'exemple d'un retour à la vie parce que nous croyons en l'amour patient de Dieu. Le péché ne nous condamne pas à la mort, mais il nous invite à la conversion du c½ur et Dieu l'attend avec patience.

Ainsi, Jésus nous éclaire lui-même sur le sens chrétien du péché. A propos de l'existence et de la notion du péché, on a tout entendu, depuis sa prétendue non-existence, on a même défendu la perspective d'une morale sans péché, jusqu'au reproche fait au christianisme de nourrir un sens névrotique de la culpabilité dans un univers morbide de la faute. La parabole dit tout le contraire. Le mot hébreu qui exprime le mot faute veut dire littéralement « manquer sa cible », tirer à côté, un peu dans le sens où les jeunes parlent d'être à côté de la plaque, à côté de ses pompes. Le péché, c'est rater Dieu, c'est l'existence d'une rupture au sein de l'Alliance, d'une incohérence, d'un désordre entre Dieu et nous. Et, quand on rate Dieu, croyant trouver son petit bonheur immédiat, tout seul, on se fourvoie soi-même. Aussi, plus que nos vertus toujours imparfaites, ce qui nous rend juste aux yeux de Dieu, c'est son pardon qui nous devance toujours. Plus que nos efforts toujours limités, ce qui nous rend saint aux yeux de Dieu, c'est sa miséricorde infinie qui suscite notre pénitence. La doctrine chrétienne du péché est une théologie, un discours sur Dieu, sur un Dieu rédempteur et sauveur. Le péché lui-même est une notion révélée

C'est parce qu'il se révèle un Dieu Sauveur que Dieu nous révèle la vraie possibilité de péché comme le sens du mal et la signification de la seule mort éternelle : le rejet définitif de Dieu. Dieu révèle la faute pour nous restituer à notre vraie dignité. Toujours pécheur, toujours pardonné, invité à être à notre tour toujours pardonnant. Finalement le seul péché, c'est de refuser de se laisser aimer, c'est de ne plus croire à l'amour de Dieu. Face au mal, au péché, à la mort, nous dit la parabole du figuier stérile, il y a la patience de Dieu, la faiblesse de Dieu : sa miséricorde. Face à la faute, la parabole rejette toute fixation, toute crispation obsessionnelle sur notre narcissisme déçu pour nous ouvrir à la confiance et à la gratitude.

Dans un monde porté trop vite aux dérives suicidaires, puisse la charité des enfants, inspirés de la stratégie de Dieu qui est patience et compassion, n'exclure jamais personne parce qu'il est pécheur, car une Eglise dans laquelle le pécheur n'aurait pas sa place ne serait plus l'Eglise de Jésus-Christ. Puisse notre tendresse, à l'instar de Dieu, faire que toute vie humaine, même dégradée, découvre un jour son printemps. La patience obtient tout disait Ste. Thérèse d'Avila. La patience, cette délicatesse du c½ur est la doublure de l'âme comme l'écrivait si joliment Tertullien.