Pour nous visiter, Dieu doit faire un très grand chemin. Le prophète Isaïe, dans la Bible soupire et s'écrie : « Ah ! Seigneur Dieu, si tu déchirais les cieux qui nous séparent de Toi et si tu descendais ! » Il espérait voir Dieu « déchirer les cieux » et « descendre » jusqu'à nous. Pour saint Marc, cela s'est réalisé avec la venue de Jésus puisque, au moment du baptême, « les cieux se déchirèrent et l'Esprit, comme une colombe descendit sur lui » (Mc 1,10). Pour nous rejoindre, Dieu doit en effet franchir la grande distance qui le sépare de nous, quitter les cieux et s'installer sur terre. Cette image est reprise dans le célèbre chant de Noël : « Minuit chrétien, c'est l'heure solennelle où l'homme Dieu descendit jusqu'à nous ».
Il y a quelques années, je suis allé au moment de Noël aider un de mes frères dans une paroisse située au centre du Cameroun. Il aimait dire avec le sourire que sa paroisse était aussi grande que la Belgique ! Il m'envoya dans un village très éloigné et isolé dans la brousse. J'ai dû conduire toute une journée en arrêtant à tous les marigots car les ponts étaient effondrés ; la petite équipe qui m'accompagnait installait deux madriers parallèles sur lesquels il fallait rouler. Ayant traversés tous les obstacles, nous sommes arrivés le soir dans le village : les gens furent surpris de nous voir. Nous avons célébré la messe de la nuit de Noël ce soir là. J'ai mesuré alors l'immense chemin que le Seigneur a pu faire pour venir à notre rencontre.
L'homme ne peut pas, par lui-même, s'approcher de Dieu ! Seul Dieu, parce qu'il est Dieu, peut décider d'aller à la rencontre de l'homme pour se révéler à lui et lui parler. L'Avent, c'est le temps de l'espérance en ce Dieu qui se met en route pour venir à notre rencontre.
Il est une très vieille et très courte prière chrétienne d'Avent que Paul a conservée dans la langue araméenne, cette « première langue » de Jésus, la langue humaine que le Fils de Dieu a apprise au contact de ses parents, et qui fut aussi celle des premiers chrétiens : « Maranatha ! » c'est-à-dire « Seigneur, viens ! » (1Co 16,22). C'est une prière qui rejoint le cri du prophète Isaïe : « Déchire les cieux et descends ! » C'est là le contenu du mot « Avent » qui vient du latin et veut dire « venue » ou « avènement ». En ce monde, c'est notre rôle, à nous les croyants, d'être ceux qui attendent la venue du Seigneur et qui espèrent voir se déchirer le ciel et le Dieu du ciel venir habiter ici-bas.
Comme Moïse, nous désirons voir Dieu ici-bas ! Comme Isaïe, nous espérons qu'il va venir. À chaque eucharistie, après la consécration nous le répétons : « Gloire à toi qui était mort, gloire à toi qui est vivant, notre Sauveur et notre Dieu, viens Seigneur Jésus ! » Sans lui, ce monde n'a aucun sens et nous sommes perdus, et c'est pourquoi nous préparons sa « venue » chez nous. Dans l'évangile, Jésus nous invite à être comme des portiers attendent le retour de leur maître sans savoir à quelle heure il sera de retour et qui attendent en « veillant ». Le verbe « veiller » est un verbe-clé du temps de l'Avent. Veiller consiste à ouvrir l'½il et à garder la tenue de service pour être prêt, à ne pas s'assoupir, à laisser toutes les lampes allumées pour que la maison soit accueillante.
Il y a des jours où nous vivons des heures d'attente intense et il nous est impossible de dormir : par exemple, l'attente de nouvelles concernant un ami, un parent, un conjoint gravement malade ou l'attente d'une naissance. Les étudiants ne ferment pas l'½il de la nuit quand ils attendent les résultats des examens ou des concours. Oui, il y a des moments où nous ne pouvons pas dormir parce que nous attendons ! Espérer, c'est tout simplement attendre quelqu'un que nous aimons, qui s'est annoncé et dont on est sûr qu'il va venir. Le moindre bruit qui annonce son arrivée est alors entendu et nous sursautons immédiatement. Nous allons sans hésiter vers la porte « pour lui ouvrir dès qu'il arrive et frappe » et, parfois même, avant qu'il n'ait eu le temps de frapper ou de sonner.
Vivre dans l'attente de quelqu'un est une expérience essentielle, vitale ! Nous sombrons dans la mort si les autres nous oublient ou, ce qui revient au même, si nous nous isolons, si nous nous enfermons en nous-mêmes, si nous voulons nous suffire en oubliant les autres. C'est alors l'impasse...
Seule l'espérance peut nous faire sortir de nous-mêmes pour aller vers les autres et vers l'Autre. Quand nous attendons quelqu'un, nous oublions nos soucis et nos peines. L'attente d'une visite, pour un prisonnier, pour une personne malade ou isolée ou pour une personne très âgée, se transforme en préparation de fête. Nous ne vivons intensément que dans l'attente de la visite de ceux qu'on aime... Il n'y a pas d'amour sans attente, sans désir de la venue de l'être aimé. La foi n'est rien d'autre que l'attente impatiente et amoureuse de la visite de Dieu. Saint Jean de la Croix, le grand mystique espagnol du 16e siècle dont nous faisons mémoire aujourd'hui, écrit que celui qui est dans une telle attitude « ne peut demeurer longtemps sans être visité par son Ami » (Cantique spirituel, X, 2).
« Maranatha ! Viens, Seigneur Jésus ! » Nous veillons dans l'attente de ta visite et nous sommes impatients de t'accueillir. Ta venue sera pour nous une fête que nous préparons. Seigneur, nous te disons : « Bonne arrivée », selon la belle formule de l'Afrique de l'Ouest.
Je finirai par une petite histoire vécue... Un jour, alors que j'assurais les confessions dans une grande basilique, un enfant vient frapper à la porte vitrée de l'espace d'accueil et, avec des yeux pétillants de joie et un grand sourire, il me dit ces mots tout simples : « Bonjour. Je voulais vous dire que j'aime Jésus et, à la maison, je prépare la crèche pour l'accueillir ! » Ah, si nous pouvions retrouver cette spontanéité de l'enfance... Si nous pouvions attendre la venue du Seigneur comme cet enfant ! Il se ferait de nouveau enfant pour nous rejoindre et combler notre attente. Puisse ce souhait d'Angélus Silésius, mystique du 17e siècle, être vrai pour chacun de nous :
« Ah, si ton c½ur pouvait devenir une crèche !
De nouveau, ici-bas, Dieu serait un enfant. »
3e dimanche de l'Avent, année B
- Auteur: Charles Dominique
- Temps liturgique: Avent
- Année liturgique : B
- Année: 2011-2012