Comment priez-vous ? Comment dialoguez-vous avec Dieu ? demanda un journaliste de La Croix au frère Timothy Radicliffe, actuel Maître de l'Ordre des Dominicains. "Dans la tradition dominicaine, répondit ce dernier, la prière est souvent conçue comme un acte d'amitié, nous n'avons pas vraiment de technique de prière. Je dois avouer que je ne suis pas très fort pour la prière. Je suis très facilement distrait. Souvent, je vais dans la chapelle, juste pour m'asseoir et rester avec Dieu, en silence. Mais, souvent, j'ai la tête et le c½ur trop pris pour cela. Je suis préoccupé par mes problèmes, mes dossiers, trop soucieux de moi-même. Un jour, l'auteur de théatre anglais Noel Coward rencontra l'un de ses amis dans une soirée et lui dit : "Nous n'avons pas le temps de parler de nous deux. Alors parlons de moi." Notre prière, souvent, commence un peu commça. Nous adressons à Dieu un bavardage sur nous-mêmes, sur les autres, tout en nous demandant ce qu'il y aura à manger pour le déjeuner. Mais si l'on prend le temps nécessaire, vient le moment du silence où nous sommes avec Dieu. Prier, ce n'est pas penser à Dieu. Comme dit mon camarade de noviciat Simon Tugwell, concluait le frère Timothy, lorsque nous sommes avec nos amis, nous ne pensons pas à eux, nous sommes avec eux. Prier, c'est être avec Dieu".
De tels mots dans la bouche du big boss de notre Ordre me font terriblement plaisir et nous ramènent au sens des lectures de ce jour. La vie de foi, la vie chrétienne, n'est pas comme l'ont prétendu de nombreuses personnes au cours des siècles et encore aujourd'hui quelque chose de difficile, de compliqué. Croire au Christ n'est pas vivre sa vie avançant à genoux sur un chemin rocailleux. Sans pour autant nier les souffrances que nous traversons, les heurts et trahisons que nous subissons, ces événements douloureux font partie de notre vie humaine. Mais la foi nous fait découvrir une autre facette de la vie. Même si nos journaux quotidiens sont trop friands de drames, la vie est également belle et vaut la peine d'être vécue. Cette beauté peut être illuminée de la lumière de Dieu qui prend son humanité tellement au sérieux qu'il se fait lui-même l'un des nôtres par l'Incarnation de son Verbe. Prendre la vie au sérieux n'est cependant pas synonyme de tristesse. Et pourtant ces deux notions sont souvent confondues. Pour croire, il faut être sérieux, entend-on parfois. Erreur, me semble-t-il.
C'est vrai, la foi c'est quelque chose de très important, et il faut donc la prendre au sérieux. La prendre au sérieux, c'est-à-dire en vivre pour donner du goût à sa vie, l'épicer d'une herbe toute spéciale, la parfumer d'une relation unique au Créateur. Pour croire, il ne faut pas être sérieux, il faut être joyeux. La foi n'a pas de sens si elle n'est pas vécue comme une joie, si elle n'est pas légère et douce. Croire n'est pas une obligation mais une invitation à laquelle toutes et tous nous avons envie de répondre positivement parce qu'elle nous nourrit d'un bonheur indicible. Et cette joie intérieure qui nous anime est une joie toute simple, sans fard, sans bruit, à l'exemple de la manière de prier telle qu'elle nous est proposée par le frère Timothy. Une joie qui nous envahit dans ce que nous faisons, dans ce que nous sommes. Par cette joie, la foi au Dieu de Jésus Christ nous fait découvrir que vivre chrétiennement n'est pas quelque chose de compliqué. Vivre chrétiennement, selon l'évangile de ce jour, c'est "n'exiger rien de plus que ce qui vous est fixé", c'est-à-dire elle n'est pas une longue démarche dans laquelle il y a lieu d'entrer au risque de souffrir car nous n'y arrivons pas. Non le Christ, en ce temps de préparation à sa venue, nous convie à ne pas aller au-delà de nos forces, à faire ce que nous avons à faire mais à notre mesure, selon nos capacités. Pas plus mais pas moins non plus. Vivons ce que nous avons à vivre avec tout ce qui nous a été donné et sans jamais chercher midi à quatorze heures. Mais vivons cette foi dans la joie avec cette certitude annoncée dans la première lecture : "Le Seigneur ton Dieu est en toi. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme au jour de fête". Si cette promesse est vrai et si nous le croyons, que cette foi qui nous habite soit fête pour celles et ceux que nous rencontrons.
Amen.