Elle s'était mariée uniquement pour se libérer, mais elle n'osait pas affronter son mari et lui dire ses souffrances et ses difficultés. Elle espérait secrètement que son mari l'aide jusqu'à ce qu'un jour, celui-ci apprenant ses souffrances, décide enfin de l'aider, de la libérer de ce poids qui pesait sur elle...
Quelques temps après, après des semaines d'accompagnement, ce couple s'est littéralement effondré. Ils se sont séparés. Leur relation s'est brisée lorsque cette femme réussit pleinement à se changer, à se libérer. Puisqu'elle s'était transformée et libérée grâce à son mari, elle n'avait plus besoin de lui, elle était libre...
Si en guise d'introduction, je me suis permis de vous raconter cette petite anecdote citée par le psychologue Jean Van Hemelrijk lors de sa conférence sur le couple organisée il y a quelques semaines par l'équipe pastorale, ce n'est certainement pas pour dévaluer la relation de couple, ou pour vous inciter à ne pas vous marier ou encore pour faire une politique active pour les vocations religieuses...
Non, si je vous ai cité cette anecdote, c'est parce qu'il me semble tout d'abord que cette expérience de l'attente dans nos relations est fondamentale et constitutive de nos existences. Nos relations humaines sont faites d'accompagnement, de cheminement et d'aides mutuelles, que ce soit dans nos relations d'amitiés ou de couple. Nous avons tous des attentes dans nos relations, vis-à-vis de personnes qui nous entourent... et ces attentes peuvent être comblées ou non.
Et l'Evangile que nous venons d'entendre nous montre peut-être qu'il en va un peu de même dans notre relation avec Dieu. Comme les disciples d'Emmaüs, nous avons des attentes. Et c'est bien normal. Nous avons tous besoin que Dieu nous accompagne sur nos chemins et qu'il nous aide à lire et à évangéliser nos histoires, nous attendons qu'il nous libère de nos doutes et de nos peurs. Le Christ nous accompagne, mais nous sommes comme les disciples d'Emmaüs. Nous ne parvenons parfois pas à discerner sa présence cachée dans nos existences. Dieu nous accompagne discrètement, sans que nous parvenions à voir sa présence cachée, mais il est là pour nous aider à relire les écrits de nos vies, à lire, à interpréter et à écrire nos histoires, pour nous libérer, et nous permettre de marcher.
Dès lors, ce que l'histoire des disciples d'Emmaüs peut nous apprendre est peut-être bien ceci : si le Christ ressuscité nous accompagne, il doit, pour nous laisser pleinement libres, en même temps s'éclipser de nos regards. Pour que la libération soit effective, il faut qu'il s'efface effectivement... Si le Christ veut nous libérer, pour le faire pleinement, il doit s'effacer de nos regards... Pour nous libérer, il doit s'effacer...
Dans nos relations humaines, une telle libération totale n'est pas possible... car lorsque nos relations sont basées uniquement sur des attentes, la relation n'a plus de raison d'être une fois que ces attentes sont comblées. En effet, si un couple ou une relation d'amitié se base seulement sur une attente, il ne faut pas que cette attente se réalise sinon la relation est détruite...
Par contre, avec Dieu, la libération totale ne détruit pas la relation, mais elle l'accomplit. Nous sommes tous confrontés à ce merveilleux paradoxe : « le ressuscité nous accompagne pour que nous parvenions à reconnaître sa présence et son amour au milieu de nous... mais lorsque que nous y parvenons, il disparaît pour que notre relation avec lui soit pleinement libre »
Alors, pouvons-nous être encore tristes si comme les disciples d'Emmaüs, notre relation avec le Christ n'est pas brisée mais est affermie lorsqu'il s'efface de nos regards ? Son absence n'est elle pas gage de libération ?