Puisqu'ils existent de superbes contes de Noël, permettez-moi de vous en conter un de Pâques. Il était une fois, au sommet d'une haute montagne, un tout petit sapin qui s'était mis à rêver de grand matin. Il se demandait ce qu'il voulait devenir. Quand je serai grand, dit-il, j'aimerais rester ici toujours et toujours. Je grandirais tellement que ma cime frôlerait le ciel. Ce qui fait, que chaque fois que les hommes, les femmes et les enfants de la vallée regarderont vers moi, leurs yeux iront jusqu'au ciel et ils penseront à Dieu. Les années passent et le petit sapin devient bien grand. Jusqu'au jour où des bûcherons grimpent la montagne en provenance de la vallée. Le sapin se rappelle son rêve et se met à trembler à l'idée d'être coupé. En quelques coups de hache, il est par-terre. Quelques larmes coulent le long de son tronc, il ne sera jamais celui qu'il aurait aimé être. Et les gens de la vallée regarderont moins vers le Ciel et vers Dieu. Les bûcherons le vendirent à une fabrique de bois. Quelques années plus tard, alors qu'il était devenu de simples planches, on vient le chercher pour en faire une croix. Et horreur, des hommes clouent un homme sur lui. Notre sapin a mal face à tant d'inhumanité et dire qu'il y participe sans le vouloir. La tristesse l'envahit à ce point qu'il a maintenant lui aussi envie de mourir. Quelques jours plus tard, quelle n'est pas sa joie d'apprendre que l'homme qui était mort sur le bois de la croix est ressuscité, vivant éternellement. Et le sapin devenu croix se rappelle son rêve de petit sapin : depuis ce jour, chaque fois qu'un homme, une femme, un enfant de la vallée et d'ailleurs regarde une croix, ils pensent à Dieu. Son rêve s'est réalisé.
La croix du conte, (l'épis de maïs de la seconde lecture), la fraction du pain de l'évangile, ont un point commun : grâce à eux nous nous souvenons de quelque chose, d'un événement qui nous a marqué à jamais. Et ils sont nombreux les exemples que nous trouvons dans nos vies : des objets, des odeurs, des lieux, des musiques, des phrases, des dates, des textes aussi parfois. Chaque fois qu'un de ceux-ci resurgit dans notre vie, il nous rappelle un souvenir important, heureux ou malheureux d'ailleurs. Parfois ces souvenirs sont tellement enfouis en nous que nous croyons les avoir oubliés et il suffit alors d'une note, d'un mot pour qu'ils refassent tout d'un coup surface. Bien souvent, tout cela est possible parce que derrière chacune de ces petites choses qui peuvent apparaître bien anodines aux autres, il y a le souvenir d'un moment passé avec quelqu'un d'autre. Ces petites choses nous rappellent une relation vécue, un bonheur partagé, un moment d'amitié. Un peu comme si nous investissions ces différents objets, temps, bruits ou odeurs d'une dimension affective qui redonne du baume au c½ur lorsqu'ils traversent à nouveau notre histoire.
L'histoire de l'évangile de ce jour est également une invitation à rendre un souvenir vivant, à ne pas l'enfermer dans les vestiges d'un passé à jamais révolu. C'est vrai, il suffit parfois d'un petit rien pour reprendre contact, pour dépoussiérer une relation qui s'était quelque peu endormie au fil des années. Le souvenir est important, surtout s'il est vivant, c'est-à-dire s'il nous donne l'occasion de redonner vie à la vie lorsque c'est encore possible. Si c'est vrai entre nous, il doit en être de même vis-à-vis de Dieu. L'eucharistie est l'occasion de rendre le souvenir du Christ vivant. Ce souvenir s'éclaire à la fraction du pain, à la méditation des lectures proposées, à la prière silencieuse. Ce souvenir donne la vie. S'il en est véritablement ainsi quelle est véritablement l'intensité de ce dernier, sommes-nous invités à nous poser. Est-ce le souvenir d'un acte historique qui s'est passé il y a bientôt deux mille ans ou bien est-ce le rappel heureux d'un repas partagé avec ce Dieu qui s'est fait homme pour que nous devenions Dieu. Comme les disciples d'Emmaüs nous sommes en marche sur la route de la foi, sur la route de la vie. Cette route est parsemée de rencontres, de relations à vivre et Dieu y a toute sa place. Ils étaient deux lorsqu'ils l'ont reconnu, un peu comme si c'est dans la relation que Dieu se laisse découvrir à nous.
Puissions-nous en créer de suffisamment nombreuses pour que nous aussi, parce que nous continuons à être pleinement en Dieu, nous puissions le reconnaître à la fraction du pain et nous en nourrir ensuite. C'est cela aussi la merveille de l'eucharistie.
Amen.