3e dimanche de Pâques, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Il y a quelques temps, une amie m'avait demandé de rencontrer une de ses proches qui venait de se séparer de son mari après seulement quelques mois de mariage et était en plein désarroi. J'accepte de rencontrer cette jeune femme et rendez-vous est pris sur la terrasse du Grand Place à Louvain-la-Neuve. Au cours de la discussion, racontant son histoire, elle se met à pleurer. Je me voyais mal lui prendre la main alors que je ne la connaissais pas depuis plus d'une demi-heure. Je l'écoutais. Elle parlait, elle pleurait et me disait ô combien cela faisait du bien.

A un moment donné, me sentant épié, je regardai distraitement vers les tables voisines. Quelle ne fut pas surprise d'y croiser des regards de dureté, de haine à mon égard. Pour ces gens, j'étais vraisemblablement le mari méchant, incapable d'aucun geste de tendresse à l'égard de celle qui à leurs yeux devait être ma femme. Je n'en revenais pas et je n'avais qu'une envie : celle de me lever et de leur dire " bande de cons vous n'avez rien compris ". Mais par respect pour la jeune femme devant moi qui se libérait de son chagrin, je suis resté assis.

Si je vous raconte cet événement passé, c'est parce que je crois qu'il nous arrive très souvent lorsque nous sommes quelque part d'observer ce qui se passe autour de nous et d'analyser l'événement à partir de nos propres projections et fantasmes. Qui d'entre nous, dans un restaurant, voyant un couple qui mangeait et ne se parlait pas, ne s'est pas dit qu'ils s'ennuyaient ensemble alors qu'ils avaient peut-être tout simplement envie de ne pas cuisiner et d'être ensemble tellement ils se sentent bien à deux, (à l'instar de notre seconde lecture). La table n'est donc jamais un lieu neutre. Dans certaines familles, aimer c'est manger en regardant dans la même direction, c'est-à-dire la télévision. Manger de cette manière permet-il une véritable rencontre ? Je me permets de nous poser la question.

Puis il y a ces tables familiales qui sont de véritables moments d'échange, de partage. Nous sommes rassemblés autour d'une table pour partager non seulement un repas mais également ce qui nous habite, un peu de ce que nous sommes lorsque nous sommes entre intimes. Un repas n'est donc pas neutre et c'est vrai que la qualité de ce qui est servi contribue au plaisir d'être ensemble.

La table familiale ou amicale est également un lieu où se traduisent certaines émotions. Nous prenons le temps de sceller entre nous certains types de relation. Parfois nous avons nos places, parfois nous les choisissons en fonction de nos affinités. Le repas n'est donc jamais neutre et il dit quelque chose de ce qui se vit entre les personnes qui sont là et qui mangent ensemble.

C'est sans doute une des raisons pour lesquelles, dans l'histoire du Christ, nous pouvons nous étonner qu'il passe tant de temps à table. Si nous relisons les évangiles, c'est frappant. Il mange à Cana, il s'invite chez Zachée pour aller manger, il mange plusieurs fois à Béthanie chez Marthe et Marie, il partage un repas avec des milliers de personnes lors de la multiplication des pains, il est à table lorsque Marie-Madeleine lui brise un flacon de parfum, il partage sa dernière Cène au cours d'un repas. Voilà ce qu'il en est pour le Christ historique. Mais il a du apprécier parce qu'il remet cela alors qu'il est ressuscité, il mange le long du lac de Tibériade, il est reconnu à table lors de sa rencontre avec les disciples d'Emmaüs et voilà qu'aujourd'hui, il mange à nouveau.

Il devait avoir un sacré métabolisme parce vu ce qu'il mangeait, comment se fait-il qu'il est toujours représenté de manière aussi mince. J'en suis presque jaloux. Le Christ passe beaucoup de son temps à table car il avait sans doute compris que c'est un lieu essentiel de rassemblement, de partage, de moments de bonheur. Nous sommes alors invités à vivre cela au cours de nos eucharisties. Elles doivent être un moment où nous sommes bien les uns avec les autres et également avec Dieu.

Elles sont importantes car elles nous permettent de partager ensemble cet avant-goût de nourriture céleste qui nous rappelle que, de cette manière, nous formons ici sur terre le Corps vivant du Christ Ressuscité. Ne soyons alors pas indifférents les uns aux autres alors que nous partageons un peu de notre temps dans cette église mais vivons nos eucharisties comme de véritables temps de partage car nous avons compris que c'est autour d'une table que le Christ nous rassemble. Mais pas n'importe laquelle, nous sommes conviés autour de la table de la résurrection, celle qui nous fait découvrir ensemble que la vie se poursuit dans la vie éternelle. Telle est la joie de notre table eucharistique. Que cette joie marque alors nos visages de croyants.

Amen