5e dimanche de Carême, année B

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

 

Jn 12, 31-33

L'évangile de ce jour devrait nous étonner. Jésus y parle du démon, il l'appelle le « Prince du monde, le Prince d'ici-bas ». Il en parle comme d'une réalité, comme d'une force dans le monde. Il semble bien y croire, lui. Il va même le bouter définitivement dehors, dit l'évangile : « Voici maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors. »

Quant à moi, il me faut peut être courir le risque du ridicule pour oser parler sérieusement du diable dans une assemblée de chrétiens de l'an 2000 ! Mais puisque Jésus l'a fait, je puis bien suivre son exemple car ne pas ou ne plus y croire n'est ce pas lui donner trop vite la voie libre. Il réussirait sa man½uvre la plus habile : passer dans la clandestinité, faire douter de son pouvoir. Or, il suffit de lire l'évangile pour voir que Jésus lui-même se heurte, tout au long de sa mission, à une puissance du mal, incroyablement active. Et il s'en suit cette chose étonnante que c'est en réalité presque tout le monde, au temps de Jésus, qui se révèle un peu Satan : Les prêtres et les riches, les Romains et les Juifs, les hommes et les femmes. Partout Jésus découvre les démons et les détrône. Le Christ ne dit-il pas que certains d'entre nous abritent un, sept, huit démons, voire une légion !

Oui, Satan est le mal présent et c'est bien les hommes de ce monde qui lui donnent visage. Pour vous parler du démon, je vous donnerai beaucoup mieux que des preuves. Je ferai appel à votre expérience d'abord, à l'expérience monumentale du mal dans le monde ! Il y a dans l'action du mal dans le monde à la fois quelque chose d'étrangement subtil et sournois et quelque chose de prodigieusement habile et aussi, quelque chose de tellement énorme, monstrueux que cette ampleur-même dénonce son auteur. Pensez à la cruauté cynique des bourreaux et voyez-les au dehors : bons époux, tendres pères, voisins aimables ! Quelle est la force démoniaque qui agit en eux aux heures de malheur ?

Que dire du monde des affaires ou de l'univers politique ! Et si on se met à l'échelle mondiale, ce n'est que déséquilibres et horreurs conjuguées. Moins de 1/3 du monde doit surveiller sa ligne et le reste de l'humanité meurt d'épuisement ! Cela est-il dû à la simple méchanceté des hommes, cela est -il le résultat de forces occultes qui échappent aux individus ou qui nichent dans l'inconscient ? Tout se passe comme si l'homme devenait le jouet d'une puissance diabolique qui l'utilise pour ses fins. Il y a pire encore. C'est cette sorte de froide dureté, de cynisme serein avec lesquels l'humanité considère, à certaines heures, son propre suicide (pensons aux armes nucléaires), comme si quelque chose d'aveugle, d'inhumainement orgueilleux gouvernait le monde et qui rappellerait la première révolte et le premier révolté.

On ne peut s'empêcher de soupçonner alors l'influence de celui qui, le premier, préféra sa ruine et son propre anéantissement à l'acte d'amour qui lui était demandé. Il s'agit de Lucifer, le soi-disant lucide Lucifer ! Certes, trop croire à l'action du diable serait lui faire trop d'honneur. Le seul Tout-Puissant, et tout aimant à la fois, est Dieu. Le seul Rédempteur et le seul Messie, c'est le Christ et, Jésus nous tente et nous hante infiniment plus par le bien que Satan par le mal. Mais il reste dangereux de nier le diable. Le meilleur moyen de le servir serait de l'oublier. Oh ! Le diable ne se montre pas en personne à nous. Il lui suffit d'une méchante colère, d'une folle rancune, d'un peu d'argent ou d'un peu de chair pour, par-là, nous avoir à sa merci. Nous sommes tous, à certaines heures, faits de ruines ou de convoitises, d'affreuses inattentions ou de misères secrètes dont Jésus lui-même nous parle dans diverses paraboles. Jésus y voyait lui la preuve de l'action du diable.

Ainsi, dans la parabole de la semence tombant sur la rocaille ou dans les ronces, il nous parlait de la rapidité inouïe avec laquelle l'homme oublie la parole de Dieu. Le Christ y voit un phénomène surnaturel. Il ne l'explique comme possible que par l'intervention du diable. Voici encore une autre expérience de l'action du démon, indique l'évangile. « Il y a un genre de démon dit Jésus qui ne se chasse que par la prière et comme il est toujours là, cela veut dire qu'il y a, par moments en nous, un genre de diable qui s'oppose à ce que nous priions pour le vaincre. On trouve à nouveau une autre expérience de la présence du démon en lisant l'Evangile quand Jésus a parlé pour la première fois de l'Eucharistie, c'est à partir de ce moment, notera St. Jean que beaucoup n'allèrent plus avec lui ou le quittèrent définitivement. Quant à nous aujourd'hui, beaucoup croient à l'Eucharistie, mais beaucoup moins la fréquentent régulièrement. Le malheur, c'est que Satan ou les démons croient aussi à l'Eucharistie et à la présence réelle, mais ils ne communient pas à cet amour, eux non plus.

Enfin, il y a dans l'Evangile des esprits mauvais, figures mineures du diable, innombrables expériences du Mal. C'est le démon muet qui tue l'amour par le silence rancunier. Ce sont les 7 démons de la sensibilité anarchique que Jésus chasse d'une pécheresse. C'est la légion des démons qui possède un jeune homme puis se réfugie dans des pourceaux. C'est enfin, le démon du mensonge qui pervertit les rapports entre les hommes et dont Jésus dit qu'il a, ce mensonge, le diable comme père.

L'Evangile et l'expérience humaine attestent bien de la présence au monde de ce que nous appelons le démon. Mais quel est-il enfin ? Est-il un être personnel, la présence du mal dans le monde ou simplement la somme de nos péchés ? Pour l'évangéliste Jean et la tradition chrétienne, il s'agirait bien d'une créature spirituelle révoltée, endurcie dans la rébellion et inversant toutes les valeurs. Le terme de « personne », comme on parle de personne humaine, convient peu à un pur esprit. On se trompe donc en se demandant si Satan est une personne et on se trompe aussi en répliquant qu'il n'est certainement pas un être personnel. Le langage ici est analogique et vacille toujours pour exprimer des réalités surnaturelles. En hébreux : « Shatan » est l'adversaire, le révolté, celui qui rompt les liens entre Dieu et les hommes, l'ennemi qui s'oppose et dit : Non. Pour St. Paul, il est celui qui a la puissance de la mort. En grec « Diabolos » c'est celui qui divise, sépare, éloigne, ronge. C'est celui qui accuse et calomnie, celui qui ment. Le mauvais. Tentateur, accusateur ou calomniateur et menteur, il dissout. Il dissout tout et se dissout lui-même. Le démon c'est un être qui ne tient pas en lui-même. Il est celui qui défait tout et se défait lui-même, à l'inverse de la personne car une personne, précisément, n'est vraiment elle-même que si elle est cohérente, trouve son unité et ne cesse de construire sa cohésion intérieure. Révolté, menteur et mort-vivant, il est finalement l'inconsistant déjà vaincu, dira St. Paul aux Hébreux Face à Satan, le « non » dit à Dieu, ce non qui s'oppose et détruit, face à Satan il y a Jésus. Jésus, le « oui » dit à Dieu, le "oui "qui construit et réunit, édifie et rassemble. Jésus le seul médiateur, rédempteur et sauveur : « Je crois à la rémission des péchés » affirme le Credo. Et Saint Athanase disait : « Un( le Christ) de l'humanité a vaincu le mal. » Oser affirmer la réalité diabolique c'est à la fois nous inviter à la vigilance et c'est aussi, d'une certaine manière, déculpabiliser l'homme d'être le seul auteur du mal ou d'en être le premier agent.

L'être humain, par sa liberté, comme puissance de défaillance, peut certes faire le mal mais avant lui et plus fort que lui, agissait déjà un être maléfique dont l'homme peut devenir le jouet et que l'homme peut servir. Vigilance donc car cette force négative reste présente pour un temps encore dans le monde. Le prince des ténèbres agit toujours mais il n'a plus le dernier mot. A la fois le Mal absolu est fixé sur une personne déjà vaincue, nous dit l'Apocalypse de St. Jean et d'autre part, il nous est demandé, à nous, de rester vigilant et serein. La vigilance, c'est notre foi, car qui croit en moi, nous dit Jésus, a vaincu le monde et a la vie éternelle. La sérénité, c'est l'Espérance en notre salut. Mais un salut déjà acquis car il est bien vaincu et définitivement.

Il est vaincu celui que l 'Ancien Testament au livre des Rois nomme avec ironie, dégoût et souverain mépris pour dire son pouvoir dérisoire et son être falot, non plus Béelzébud, qui est le prince des démons, des dieux païens philistins, mais Béelzéboul c'est à dire le roi des mouches ou pire le prince du fumier.