STRUCTURES DE L'EGLISE :
MISSION, EUCHARISTIE, PARDON, COMMUNAUTÉ
Jean avait bien terminé son évangile avec le chapitre 20 et les apparitions pascales : or voici que s'ajoute un ultime chapitre 21 rédigé sans doute par sa communauté après son décès.
C'est un petit chef-d'½uvre qui décrit en images ce qu'est l'Eglise du Ressuscité. Sa lecture nous convertit.
LA MISSION
La scène se passe au lac de Galilée : 7 disciples, guidés par Simon-Pierre, décident d'aller à la pêche. Ils ne semblent pas avoir été bouleversés par les 1ères apparitions du Ressuscité : revenus dans leur province, ils ont repris leur métier comme si de rien n'était. C'est qu'il faut bien gagner sa vie. Selon la méthode du temps, tout au cours de la nuit, ils ont ramé en larges cercles en tirant et refermant le filet mais ils n'ont rien pris. Au-dessus des collines du Golan, apparaissent les premières lueurs de l'aube, une légère brume flotte sur les eaux. Les pêcheurs, las et déçus, se préparent à rentrer lorsqu'un son de voix leur parvient. Là-bas sur le rivage, une silhouette : « Les enfants, auriez-vous un peu de poisson ? ». « Non » répondent-ils. L'inconnu lance : « Jetez le filet à droite de la barque et vous trouverez ». Pourquoi obéir à l'ordre d'un inconnu ? Pourquoi cette précision ? Ils jettent le filet qui se remplit de poissons. 153, précise-t-on : ce serait le nombre d'espèces connues à l'époque, dit S. Jérôme. Signe de mission universelle.
Le disciple que Jésus aimait, le premier, reconnaît l'homme : « C'est le Seigneur ! ». Simon-Pierre se jette à l'eau vers lui et les disciples, tirant le filet, arrivent au rivage.
En débarquant ils voient un feu de braise avec du poisson posé dessus et du pain.
Jésus leur dit : « Apportez donc de ce poisson que vous venez de prendre ». Simon-Pierre tire le filet : 153 poissons ...et malgré cela, le filet n'était pas déchiré !
Jésus leur dit : « Venez déjeuner »...Il prend le pain et le leur donne, ainsi que le poisson.
C'était la 3ème fois que Jésus ressuscité d'entre les morts se manifestait à ses disciples.
La mission des apôtres consiste à sauver les hommes, à les retirer du gouffre du mal, à les empêcher de couler dans le désespoir, à les ramener à l'air libre, à être « pêcheurs d'hommes » » (Luc 5, 10) Mais ce travail ne s'accomplit pas par initiative personnelle, par simple dynamisme et bonne volonté. « Sans moi vous ne pouvez rien faire » avait dit Jésus à ses disciples (15, 5). L'apôtre, si doué soit-il, peut bien déployer les trésors de son génie, il demeure bredouille car la conversion de l'homme est une ½uvre divine. Les disciples avaient ½uvré toute la nuit en vain mais que la lumière apparaisse, qu'ils obéissent à la voix encore non reconnue du Seigneur, et voilà que soudain les prises tant attendues se multiplient.
LE PARTAGE DU PAIN
Oui le missionnaire doit s'attendre à des échecs. Il a beau changer de tactique, modifier son vocabulaire, utiliser d'autres méthodes, recourir aux médias les plus sophistiqués : s'il ne compte que sur lui et ses moyens, il reste bredouille. Mais il est bon qu'il fasse cette expérience, qu'il connaisse le découragement, se bute aux limites de ses possibilités : encore faut-il que, sans démissionner, surmontant la tentation de tout laisser là, il prête l'oreille à la voix qui murmure : « Recommence ! ».
C'est précisément quand il expérimente que sa théologie, ses études, ses qualités, son éloquence échouent, que, du fond de la lassitude, il doit reprendre le travail. « Car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort » (2 Cor 12, 10)
Alors il constate qu'il est radicalement impossible que le monde se sauve seul. Il change, oui, mais pour retomber plus bas. Il s'améliore puis se défait. Il espère puis il s'écroule. Seul Dieu peut nous sauver. Les apôtres sont appelés à retrouver sa présence, à accepter son invitation : « Venez déjeuner ».
C'est en partageant le Pain de Celui qui est sorti des abîmes de la mort pour rejoindre les rivages des hommes que les apôtres retrouvent leurs forces et leur joie de travailler sans relâche.
LE PARDON
Alors s'ouvre un merveilleux dialogue :
Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon-Pierre :
- Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ?
- Oui, Seigneur, je t'aime, tu le sais.
- Sois le berger de mes agneaux....Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?
- Oui, Seigneur, je t'aime, tu le sais.
- Sois le pasteur de mes brebis...Simon, fils de Jean, est-ce que tu m'aimes ?
- Seigneur, tu sais tout : tu sais bien que je t'aime.
- Sois le berger de mes brebis.
Simon, pauvre pêcheur, devait être fier d'avoir été placé en tête de la liste des Douze. Impétueux, il avait assuré son Maître qu'il le suivrait toujours : « Moi, je donnerais ma vie pour toi ! » (13, 37). Las, quelques heures plus tard, dans la cour du palais du grand prêtre où l'on avait amené Jésus ligoté, Pierre s'approcha du « feu de braise » : on le reconnut et le pauvre nia par trois fois être l'un de ses disciples (18, 17-27).
Ici, au bord du lac, voici les retrouvailles éblouissantes. Jésus ne fait pas d'allusion directe au triple reniement de son ami, il ne le condamne pas, ne l'humilie pas devant les autres, ne lui commande même pas de confesser ses péchés. Devant un autre « feu », il lui demande simplement de redire son amour.
Pierre n'ose plus prétendre « aimer plus que les autres »: il s'en remet au Seigneur. Oui il a été prétentieux, lâche, traître, il a eu peur de l'arrestation. Mais il peut en vérité dire à Jésus que, malgré tout, il l'aime vraiment.
En conséquence, parce qu'il a fait l'expérience de son immense faiblesse, parce qu'il est revenu à la vérité de l'amour, il peut recevoir la garde du troupeau. Car un berger doit d'abord être quelqu'un qui aime Jésus.
Mais qu'il n'oublie pas : les brebis ne lui appartiennent pas : elles sont « mes » brebis, dit Jésus, je te les confie, guide-les avec l'amour que j'ai eu. Le souvenir de ta faute t'empêchera de les traiter avec dureté. Sois toujours prêt à leur pardonner.
LE MARTYRE
Jésus continue : « Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui te mettra ta ceinture pour t'emmener là où tu ne voudrais pas aller ». Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre devait rendre gloire à Dieu. Puis il lui dit : « Suis-moi ».
Le dernier soir, avant son arrestation, Jésus avait dit à Pierre : « Tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard » (13, 36). En effet, transformé par la rencontre de Jésus ressuscité et le don de son Esprit, Pierre va s'élancer dans le monde pour « pêcher les hommes ». Il cessera de choisir son propre chemin de vie, il ne cherchera plus à faire sa volonté, il ne s'appartiendra plus mais il imitera Celui qui avait donné sa vie pour lui pardonner. Comme les confrères et comme Paul, il n'épargnera pas ses peines, voyagera, fondera des communautés nouvelles, rencontrera avanies, menaces, subira coups et prisons.
Et un jour, à Rome, capitale de l'Empire, en 64 ou 67, il subira le martyre, « il étendra les mains ». (Crucifié tête en bas ? dit une légende). Maintenant il le prouvait : « C'est vrai, Seigneur, tu sais bien que je t'aime ».
Le chapitre s'achève par une note sur le disciple bien-aimé. Il venait de mourir alors que, disait-on, Jésus lui avait promis de demeurer jusqu'à ce qu'il revienne. Mais c'est à son Evangile que Jésus faisait allusion : le témoignage de l'écrit du disciple bien-aimé éclairera l'Eglise jusqu' à la fin du monde.
CONCLUSION
C'est pourquoi guidée par Pierre, éclairée par Jean, nourrie par l'Eucharistie, réchauffée par le feu du pardon, l'Eglise peut poursuivre sa route en toute assurance. Rien ne lui manque. Elle existe pour pêcher les hommes qui se noient ou pour rassembler et guider les brebis égarées.
Et elle ne cesse de dire, du fond de sa lâcheté : « Seigneur tu sais que je t'aime ».