Après les dimanches d'apparition (Noël) puis des premières manifestations de Jésus (baptême, Cana), nous allons à présent suivre l'évangile de Luc pendant toute cette année. Qui est ce Luc ? Son livre n'est pas signé et ce n'est qu'au 2ème siècle que l'on nommera les auteurs des 4 évangiles conservés par l'Eglise. Peut-être est-il ce médecin syrien converti par Paul et qui aurait accompagné l'apôtre dans sa mission (Col 4,14).
L'ouverture de son livre nous permet d'entrevoir un peu comment les choses se sont déroulées au 1er siècle et le processus de composition de ce livre qu'on appellera « Evangile ».
1) Jésus de Nazareth en Galilée est apparu comme un prophète, l'an 15 de l'empereur Auguste (Luc 3, 1 - correspondant à notre année 28). Après un temps de mission, il a été rejeté, condamné et exécuté sur une croix. Voilà le fait brut, une aventure semblable à celle de quelques autres à cette époque.
2) Beaucoup de gens l'ont bien connu mais, parmi eux, certains ensuite l'ont « vu » vivant et ont été persuadés qu'il était le Messie, le Fils de Dieu, le Seigneur du monde.
3) Certains de ces « témoins oculaires » ont décidé non de raconter comme un fait-divers, mais de « proclamer » ces événements, en tant que « serviteurs de la Parole » c.à.d. ayant compris que « le fait Jésus » était un message, une « parole » qu'il fallait annoncer « au service » de Dieu et « au service » des hommes, puisque cette Parole est « la Bonne Nouvelle » qui apporte le salut à l'humanité.
4) Parmi eux, certains ont mis leurs souvenirs par écrit : d'abord sans doute quelques déclarations mémorables de Jésus, ou des listes de miracles, ou surtout les événements de la Pâque finale.
5) Alors Luc, ayant pris connaissance de tout cela (notamment le livret de Marc), a mené une enquête soigneuse pour en vérifier l'authenticité.
6) Il a décidé de rédiger non des bribes mais « un exposé suivi », un récit en continu (on estime que c'était dans les années 80-85)
7) C'est, dit-il, à l'intention d'un certain Théophile (« ami de Dieu »), un homme qui a cru à la prédication de l'Evangile, afin qu'il soit bien convaincu de « la solidité des enseignements qu'il a reçus ».
Par la suite, ce livret s'adresse à la multitude des hommes et des femmes qui voudront confirmer leur foi, être sûrs qu'il ne s'agit pas de la légende d'un homme-dieu mais d'une Révélation à accueillir car elle accomplit leur vie et l'histoire, leur donnant vie et bonheur. Tel est le dessein qu'ensemble nous allons poursuivre, de dimanche en dimanche, afin de devenir à notre tour, avec assurance, « serviteurs de la Parole ».
LA PREMIERE PREDICATION DE JESUS : SON DISCOURS-PROGRAMME
Lorsque Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues et tout le monde faisait son éloge.
Il vient à Nazareth où il avait grandi. Comme il en avait l'habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat et il se leva pour faire la lecture.
Au contraire de beaucoup de croyants qui, énervés par la lourdeur de leur Eglise ou révoltés par ses scandales, décident de ne plus pratiquer, Jésus (qui se sait Fils de Dieu) a l'habitude depuis l'enfance de rejoindre le petit peuple qui se rassemble chaque sabbat matin dans la synagogue. De retour dans son village, après une longue absence près de Jean-Baptiste, il est heureux de retrouver ses amis et voisins. Il en connaît mieux que personne les défauts, les inimitiés larvées, le peu de foi mais c'est « le peuple de Dieu », héritier d'une longue histoire, pauvre et malheureux sous la botte de l'occupant étranger. Et il les aime tels qu'ils sont. Les villageois, eux, sont très intrigués par ce voisin, ce charpentier qui s'est transformé en prédicateur itinérant et dont on raconte même qu'il opère des guérisons.
L'assemblée d'hommes chante à pleine voix les prières des psaumes qu'elle connaît par c½ur puis le rabbin, responsable de la communauté, fait lecture du passage de la Torah du jour et la commente par l'homélie. Ensuite, comme il en a sans doute convenu avec lui, il cède la place à Jésus pour la 2ème lecture, celle qui est choisie dans le livre des Prophètes.
On lui présenta le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
« L'Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé proclamer la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres et aux aveugles qu'ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. ». Jésus referma le livre, le rendit au servant et s'assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire :
« Cette parole de l'Ecriture que vous venez d'entendre, aujourd'hui elle s'accomplit »
S'agit-il du passage prévu pour ce jour ou Jésus le choisit-il lui-même ? Cette page est extraite de la dernière partie du livre d'Isaïe (chap.61) lorsque, après la destruction de Jérusalem et du temple et le malheur de l'exil, les Judéens essayent péniblement de survivre. Le prophète leur annonce, de la part de Dieu, la venue d'un mystérieux personnage consacré : Dieu le oindra d'huile sainte (comme on consacrait le nouveau roi), le remplira de sa Force, de son Esprit. C'est pourquoi il pourra réconforter le peuple malheureux, apporter guérison, libération et même annoncer l'ouverture d'une nouvelle année jubilaire pendant laquelle les grâces de Dieu pleuvront.
Le peuple connaît bien toutes ces pages des Ecritures qui leur sont lues dans le culte ; chaque fois, le rabbin assure que ces magnifiques promesses de Dieu se réaliseront un jour et qu'il faut avoir de la patience. Mais quand cela surviendra-t-il ? Combien d'années, de siècles faudra-t-il encore attendre ? Au temps de Jésus, il y a plus de 90 ans que les Romains piétinent la terre sainte !
On imagine la stupeur de l'assemblée lorsque Jésus, sans nulle exaltation, rend le rouleau et déclare : « AUJOURD'HUI CETTE PAROLE S'ACCOMPLIT ». Ainsi il affirme que lors de son passage chez Jean, à la suite de son baptême dans l'eau, il a reçu une ONCTION D'ESPRIT-SAINT. Le feu de Dieu lui a été donné en plénitude. Dieu l'a institué ROI de ce royaume où les pauvres et les malheureux vont entendre la BONNE NOUVELLE : voici donc « aujourd'hui »la libération, la lumière, la guérison, la sortie des geôles. Le temps n'est plus à l'espérance, à l'attente et au doute mais à la FOI : ceux qui écoutent sont invités à faire confiance, à pratiquer ce programme qui devient début d'un nouveau monde.
Las ! on veut bien espérer le Royaume du bonheur des hommes mais pas s'atteler à le vivre dès aujourd'hui !
Dimanche prochain, nous entendrons la suite de l'histoire et la fin calamiteuse de cette proclamation.
AUJOURD'HUI LA PAROLE PROCLAMÉE
Chaque dimanche, nous nous retrouvons pour célébrer l'Eucharistie mais celle-ci n'est jamais réductible à la consécration et au partage du Pain et du Vin. Depuis toujours la liturgie commence par des lectures. Quel cas en faisons-nous ? Pendant des siècles, on y croyait si peu qu'on lisait des textes en un latin incompréhensible si bien qu'il était devenu courant de parler de « l'avant-messe ». Quelle horreur, quelle impolitesse : Venir chez Dieu pour être invité à son repas sans d'abord accepter de l'écouter !
Les lectures ne sont pas un apéritif : elles ont pour but de nous apprendre comment nous devons vivre si nous venons à l'église. La première partie de la messe est un dialogue : Dieu nous parle par les Ecritures proclamées et nous lui répondons par nos chants, nos réponses, notre adhésion : «AMEN ».
Au cours de la seconde partie, cette Parole écoutée, reçue par l'oreille, devient Pain à recevoir en bouche c.à.d. à assimiler afin d'avoir la force de réaliser le programme entendu AUJOURD'HUI.
C'est bien toujours AUJOURD'HUI que le mystère se réalise. La messe n'est pas seulement mémoire de faits passés ni espérance d'un paradis. Elle est accueil de Jésus, ce Roi qui vient à nous sans faste ni puissance, qui nous assure que les Paroles nous sont dites pour être sur le champ effectuées.
Le don de l'amour de Dieu est un « présent » au triple sens : cadeau - actualité - Jésus « présent » réel.
Notre péché est de recevoir les Paroles comme un bel idéal auquel nous aspirons mais que nous considérons comme impraticable. Alors qu'il suffit de laisser faire notre Roi oint, Messie : il commence sans cesse son ½uvre de salut, il édifie un autre monde où les hiérarchies sont bouleversées, où l'indifférence n'est plus possible, où les citoyens du Royaume, qui acceptent d'être pauvres, se liguent pour accomplir AUJOURD'HUI le PROGRAMME DE JESUS.
3e dimanche ordinaire, année C
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : C
- Année: 2012-2013