4e dimanche de Carême, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 1999-2000

Jn 3, 14-21

Le frère Vincent est un frère dominicain du couvent d'Oxford en Angleterre. Sa particularité est qu'il est aveugle et son occupation principale, aussi étonnant que cela puisse paraître, est l'épluchage des légumes. Et comme il a beaucoup d'humour, il nous dit qu'il laisse toujours les yeux dans les pommes de terre. Si je vous parle de ce frère c'est parce qu'il lui est arrivé l'histoire suivante : un jour il a été invité à assister à une conférence dans le nord de l'Angleterre. Etant très indépendant et comme à son habitude, il s'était fait montré le chemin la veille. Le matin, le voilà, attendant de passer à un passage pour piétons. Une personne lui demande s'il compte aller à la conférence et s'il peut l'accompagner. Vincent était très heureux de cette attention. Il nous dit avoir eu très peur en traversant la chaussée. Il entendait les voitures qui freinaient et klaxonnaient et se demandait ce que faisait l'autre. Arrivé de l'autre côté de la route, il lui fait remarquer que la traversée lui a semblé très dangereuse et qu'il était étonné que l'autre soit un si mauvais guide. Mais c'est vous qui me guidiez, répondit ce dernier. Les deux étaient aveugles. L'histoire est amusante et elle m'est revenue à la mémoire en méditant l'évangile de ce jour.

Nos deux aveugles anglais ont un point commun avec l'évangile de ce jour. Ils ont tous trois fait confiance. Et sans mauvais jeu de mot, je dirais même, ils avaient une confiance aveugle en l'autre qu'il soit partenaire dans la cécité ou Jésus Christ. Cette confiance est étonnante et tellement difficile à vivre encore peut-être plus aujourd'hui. Notre société est devenue à ce point compétitive que nous nous laissons déborder par elle. Elle ira jusqu'à envenimer les relations humaines puisque quelque part l'autre devient une menace dont je dois me méfier. Dans combien d'auditoires ne prête-t-on pas ses notes de cours de peur que l'autre réussisse et prenne notre place. Dans combien de lieux de travail, ne faisons-nous pas pleinement confiance à celles et ceux qui nous entourent car nous craignons leur trahison au moment où une meilleure opportunité de travail s'offre aux deux ? La confiance, fondement de toute relation humaine n'est plus élevée au rang de vertu. Elle est aujourd'hui souvent entendue comme naïveté voire même signe de bêtise : « si tu fais confiance, tu te feras manger par l'autre ». L'autre devient de la sorte celui dont il faut se méfier par excellence. Triste monde. Triste vie.

Le meilleur moyen de se protéger est de se mettre dans la peau de l'observateur, celui qui vit un peu en retrait de lui-même, qui ne se laisse pas trop vite influencer et qui garde ses distances. Hélas, trois fois hélas, l'observateur fonde ses jugements sur les apparences. Il utilise tous les sens qui lui sont disponibles pour se positionner. L'habillement, le langage du corps, les gestes, la voix deviennent des pièces d'un puzzle qui nous permet de nous situer, parfois de rencontrer, souvent de condamner. Un peu comme si l'être humain pouvaient se réduire non pas à ce qu'il est mais à ce qu'il montre de lui. La vie est de la sorte vécue comme une grande pièce de théâtre où chacune et chacun nous avons un rôle à jouer pour nous situer, pour nous protéger. Les apparences, celles de l'autre et les nôtres nous aveuglent et nous enferment dans la spirale de la peur. Comme si ces fameuses apparences décrivaient l'être de l'autre, son essence. Ne nous enfermons pas dans nos apparences respectives, elles ne sont que le manteau de nos personnalités. Ce que nous sommes est en-dessous lorsque nous nous laissons être à nous-mêmes, c'est-à-dire lorsque la confiance est là et que la rencontre devient lieu où deux histoires se racontent en tendresse et se reconnaissent profondément fragile. Alors prennent sens les mots du prophète Samuel : « Dieu ne regarde pas comme les hommes, car les hommes regardent l'apparence, mais le Seigneur regarde le coeur ». L'être de l'homme réside en son coeur, c'est là et là seulement qu'il est pleinement lui-même, elle-même.

Puissions-nous en ce temps de carême nous désaveuglés de nos peurs et de nos jugements de condamnation pour entrer dans la vraie lumière, celle qui trouve sa source dans nos coeurs, lieu où Dieu réside en chacune et chacun d'entre nous. Amen.