Imaginez que le jeune garagiste bien connu dans tout votre quartier revienne d'un pèlerinage et que votre curé lui demande de prêcher ce dimanche. Son apparence est toujours la même, rien d'exceptionnel ne le distingue. Au lutrin, il lit les Ecritures et, fixant l'assemblée, annonce calmement que ce texte sacré le désigne, lui, comme envoyé de Dieu et lui notifie une mission qu'il se propose d' inaugurer sur le champ ! Quelle stupeur dans l'église ! Quel charivari ! Tout de suite les critiques fuseraient, les objections pleuvraient : "Mais de quoi se mêle-t-il ? Quel culot ! Un laïc ! Ce type n'a même pas fait d'études de théologie ! Etc...."
C'est ainsi que nous pouvons imaginer l'ambiance en ce matin de sabbat dans la petite synagogue de Nazareth qui accueille le jeune charpentier Jésus. On sait qu'il revient de son pèlerinage auprès de Jean-Baptiste -mais bien d'autres que lui y sont allés et au retour ont tout bonnement repris leur existence habituelle. Comment ose-t-il proclamer : " Je suis le consacré du Seigneur : il m'a envoyé annoncer la Bonne Nouvelle"... ?!... Remarquez que dans les premiers moments, les gens semblent apprécier sa prédication
Tous lui rendaient témoignage ; et ils s'étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche.
Mais très vite, la stupeur joyeuse du début fait place à des sentiments d'opposition, d'incrédulité, de fermeture.
Ils se demandaient : " N'est-ce pas le fils de Joseph ?".
Ce villageois banal ne peut pas être le Prophète annoncé par la Bible !! C'est im-pos-sible ! Mais il leur dit : " Sûrement vous allez me citer le dicton "Médecin, guéris-toi toi même" ! Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm : fais donc de même ici dans ton pays"....... Puis il ajouta :
" Amen, je vous le dis : aucun prophète n'est bien reçu dans son pays".
Il semble donc que, avant de remonter dans son village, Jésus est passé à Capharnaüm, au bord du lac, et qu'il y a accompli des guérisons -que S.Luc, curieusement, ne racontera qu'ensuite. Les Nazaréens ont entendu parler de ces miracles et ils exigent que Jésus en fasse de semblables dans sa patrie.
L'assemblée demeure sceptique : d'emblée, elle n'accepte pas que ce voisin, Jésus, fils de Joseph, puisse être le grand Prophète oint et consacré par Dieu pour réaliser les Ecritures et elle veut des prodiges comme des preuves : "Nous ne te croyons pas, cher voisin : réalise au préalable quelque merveille !" Ces dispositions de méfiance et de scepticisme révèlent à Jésus une sourde incroyance. Il ne veut pas faire des miracles pour acculer les gens à croire en lui : il appelle plutôt à la foi, à la confiance en ses paroles. A la suite de quoi, il pourra accomplir l'une ou l'autre guérison. Le miracle n'est pas un prodige pour forcer la foi : si on ne croit pas à la Parole de Dieu, on s'interdit de voir des guérisons.
Alors Jésus compare son aventure à celle de deux grands prophètes
LE PROPHETE ELIE
Neuf siècles auparavant, Elie s'était dressé avec véhémence contre le jeune roi Akhab qui avait épousé Jézabel de Sidon et avait répandu le culte des baals, dieux de la nature. Au nom de son Dieu unique, YHWH, Elie avait provoqué un temps de sécheresse. Poursuivi par la police du royaume, il s'était réfugié au torrent de Kérith mais, celui-ci tombant à sec, Dieu lui inspira de se rendre dans le pays même de la reine Jézabel, au village de Sarepta, où une pauvre veuve, avec son fils, partagea avec lui ses dernières provisions. Elie lui promit que farine et huile ne lui manqueraient jamais (1er livre des Rois, 17)
LE PROPHETE ELISEE
Après le départ d'Elie, c'est son disciple Elisée qui continua le combat pour sauver l'honneur et le culte du seul YHWH. Or après que les armées d'Aram (Syrie) eurent infligé une dure défaite à Israël, il arriva que le général ennemi, Naamane, fut atteint de lèpre. Sur les conseils d'une jeune esclave, il revint se faire soigner par cet Elisée dont on disait merveille. Celui-ci envoya Naamane se plonger dans les eaux du Jourdain et il fut miraculeusement guéri, lui, le chef des ennemis !!! ( 2ème Livre des rois, 5)
JESUS ET LA MISSION UNIVERSELLE.
Dans la synagogue, Jésus rappelle ces épisodes
Au temps d'Elie, il y avait beaucoup de veuves en Israël : pourtant Elie n'a été envoyé vers aucune d'entre elles, mais bien vers une veuve étrangère de Sarepta, en Sidon....Au temps d'Elisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; pourtant aucun d'entre eux n'a été purifié, mais bien Naamane le Syrien !
On comprend le raisonnement de Jésus : ces deux immenses prophètes ont été conduits par le Dieu d'Israël à guérir des étrangers (la veuve, une citoyenne de la reine honnie, Jézabel - et le chef de l'armée païenne qui avait écrasé les troupes israélites !!!) parce que ces gens avaient manifesté hospitalité et confiance. De même, dit Jésus, mal reçu "dans ma patrie", je m'adresserai à des étrangers : eux m'accueilleront avec la foi que mes compatriotes m'ont refusée. !
A ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Il se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline où la ville est construite pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d'eux, allait son chemin.
Ainsi tout de suite, s. Luc trace le destin de Jésus : il est venu pour proclamer la Bonne Nouvelle à "sa patrie", Israël. Hélas, on ne l'y a pas reçu et même on a décidé sa perte. Alors il se tournera vers les nations, les païens et là, il trouvera l'accueil, la foi. Au lendemain de la crucifixion, en effet, les apôtres se disperseront dans tous les pays du monde et feront des conversions. L'Evangile risque toujours d'être accaparé par les croyants. Or on ne peut enclore la Bonne Nouvelle dans un ghetto, derrière les murs des architectures, des cultes, des théologies. Il faut permettre à l'Evangile de rejoindre "les autres".
Que voyons-nous aujourd'hui ? L'Eglise occidentale s'est voulue propriétaire de l'Evangile, elle s'est rassurée sur un héritage de chrétienté, s'est renfermée sur ses traditions. Et sa foi dynamique s'est affadie en piété ; l'élan missionnaire a stagné en catéchèse répétitive ; on s'est dit chrétien d'héritage tout en soignant son niveau de vie. Il y a bien eu quelques sursauts...mais si peu ! Alors le vent de l'Esprit qui ne supporte pas les cages est allé souffler sur d'autres terres. Sommes-nous jaloux de cette "mondialisation" de l'Evangile ? Voulons-nous à tout prix conserver une Eglise au visage occidental ? Ou bien, comme Elie, comme Elisée, comme Jésus, sommes-nous heureux de voir l'Evangile rejoindre les pays les plus lointains, capable de convertir même des gens qui ont combattu les chrétiens ?... Notre paroisse est-elle recroquevillée sur elle-même ou vise-t-elle à rejoindre les "autres" ?