Cette scène du premier chapitre de l’évangile de Marc est, comme dans une bonne pièce de théâtre, une merveilleuse scène d’exposition! C’est-à-dire une séquence qui au tout début de l’histoire fournit une clé de compréhension à l’entièreté du récit. Cette clé, c’est celle de l’autorité. L’Evangile de Marc est en effet traversé par cette question de l’autorité.
Dans le récit que nous venons d’entendre, il y a d’un côté Jésus —et son autorité qui frappe et est mise en question— et de l’autre, ceux qui sont du côté du savoir, du pouvoir, de la connaissance: les scribes, et même des esprits impurs ! Voilà deux pôles qui ne cesseront de s’affronter par la suite dans tout l’évangile! Pour nous rappeler que l’autorité n’est pas de l’ordre du pouvoir !
Mais ce qui est frappant dans ce récit —vous l’aurez sans doute remarqué— c’est que l’esprit impur ne se trompe pas. Il reconnait immédiatement l’identité du Christ. Il est d’ailleurs la première créature à le faire depuis le baptême du Christ… “Je sais qui tu es, le Saint de Dieu” dit-il. Comme pour nous dire qu’il ne suffit pas de connaître la vérité, il faut avant tout en vivre !
Dans toute relation, il ne s’agit pas simplement de connaître, de savoir, encore faut-il que cette connaissance de l’autre amène des gestes concrets, soit incarnée. Ce qui donne de l’autorité à une parole, ce n’est pas ce qu’elle dit, mais justement son efficacité à toucher, à guérir, à transformer. “Tu crois que Dieu est un ! La belle affaire. Les démons le croient aussi !” écrira Saint Jacques. Voilà ce que nous rappelle ce récit au tout début de l’Evangile de Marc. Voilà qui est nouveau par rapport à l’enseignement des scribes. Croire, c’est avant tout croire en quelqu’un, c’est-à-dire s’en remettre à lui, lui accorder sa confiance. Il ne s’agit pas d’une certitude, une foi sans risque… Cela, tout le monde peut le faire, mêmes les esprits plus démoniaques. Ceux-ci croient sans faire confiance.
Croire en quelqu’un, en l’autre, en Dieu: seuls peuvent s’y aventurer ceux qui aiment. Car accorder sa confiance, c’est ce qui nous fait sortir de nous mêmes, qui expulse loin de nous nos démons, pour tendre vers l’autre, et nous en remettre à lui. L’autorité se donne, elle ne se prend pas.
Et voilà bien l’erreur qui peut parfois nous traverser. Il y a en effet au fond de chacun une sorte de méfiance, que les événements et les blessures de la vie ont peut-être fait grandir en nous. Un forme de suspicion, un sentiment qui refuse la réalité telle qu’elle est, qui comprend l’autorité comme du pouvoir. L’esprit impur dans l’évangile, c’est finalement la figure du paranoïaque ! “Es-tu venu pour nous perdre” dit l’esprit impur. Comme pour tout rapporter à lui dans un sentiment de victime. Paranoïa signifie d’ailleurs “contre l’esprit”. Et non au sens pathologique mais le plus large, il y a parfois de la paranoïa qui nous guette. Lorsque de la méfiance s’installe.
L’invitation de l’évangile est tout autre. Elle nous convie à nous en remettre à l’autre, à entrer dans la confiance. A avoir une foi-confiante. Il y a d’ailleurs deux mots en grec pour exprimer la foi. D’un part, la foi-qui-a-peur et a besoin de se rassurer (celle des démons, celle qui veut connaitre, maitriser) et d’autre la foi-confiance, celle qui nous sommes invités à vivre. L’esprit impur connait certes l’identité du Christ, mais il ne lui donne pas sa confiance… Cet homme, c’est vous, c’est moi chaque fois que notre foi est sans actes concrets de bienveillance. Car si impureté il y a, elle est bien dans l’inaction, dans la sclérose, dans le formalisme. Lorsqu’un “Je t’aime” n’est plus habité par de la tendresse.
Car ce sont bien nos actes qui disent ce que nous sommes et vérifient nos paroles. Pas nos paroles qui affirmeraient ce que nous sommes. Il est d’ailleurs frappant de voir que suite à la guérison qu’opère Jésus, la foule est frappée… non pas par cette guérison, mais par l’enseignement de Jésus ! Comme pour nous dire qu’en Jésus, il n’y a pas d’écart entre la parole et le geste, entre la foi exprimée et la confiance donnée.
Pour entrer dans cette confiance, il faut peut-être redécouvrir un peu de silence dans sa vie. C’est à dire faire taire en nous cet esprit impur qui amène de la méfiance, ou nous met au centre. Redécouvrir un silence habité par une présence qui n’a pas besoin de mots pour se dire. Une présence qui nous invite sans cesse à la joie. Un silence qui nous amène à nous en remettre à l’autre. A croire en l’autre. Amen.