Lorsqu'il était parti explorer des terres encore inconnues, les médias contribuèrent à donner de la publicité à son expédition. Il avait eu le soutien de nombreux sponsors ce qui lui a permis de partir avec du matériel extrêmement sophistiqué pour pouvoir rendre compte de ses découvertes en temps réel. Les internautes avaient souhaité se connecter sur son site pour participer à cette grande aventure. Ils déchantèrent rapidement. Aucune nouvelle ne leur parvint. Silence radio sur toute la ligne. Un nombre grandissant de personnes pensaient soit qu'il s'était perdu, soit qu'il était mort. Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu'il réapparut quelques mois plus tard en superbe forme. Il était rayonnant et avait été invité à participer à une grande conférence de presse pour partager le fruit de ses découvertes. Il se présenta au lieu prévu. Il y avait de nombreux micros sur la table et plusieurs caméras dans la salle. L'explorateur s'assit, regarda l'assemblée et se tut. Un large sourire traversait son visage. Il était radieux, mais il ne dit rien de ce qu'il avait découvert. Il ne partagea aucune impression de son expédition. Les journalistes repartirent chez eux pantois, ne comprenant pas un tel silence. Il n'y avait pas de mot pour décrire ce qui venait de se passer. De l'incompréhension, de la colère ? Même pas. Ils étaient face à un mystère. N'en va-t-il pas de même pour nous aujourd'hui vis-à-vis de Lazare ? C'est vrai, il aurait quand même pu dévoiler quelque chose du séjour des morts où il était allé. Il aurait pu en quelques mots rassurer l'humanité entière sur ce qui nous attend de l'autre côté de la vie. Il revient de la mort et il se tait. C'est quand même un comble ! Nous ne lui demandions pas de tomber dans le sensationnalisme, juste de nous dire quelques petits mots qui nous auraient permis d'appréhender cette ultime étape de vie avec plus de sérénité. Mais Lazare se tait. Peut-être s'est-il tu parce que comme le souligne le texte de l'évangile que nous venons d'entendre, c'est un mort qui « sortit du tombeau, les pieds et les mains attachés, le visage enveloppé d'un suaire ». Le texte ne dit pas « Lazare sortit », mais bien « le mort sortit ». Cette précision expliquerait aussi sans doute pourquoi la sortie du tombeau de Lazare n'a rien de comparable avec celle qui se vivra plus tard dans l'événement de la Résurrection du Fils de Dieu. Nous ne savons donc pas ce qui nous attend de l'autre côté de la Lumière, toutefois le Christ nous donne déjà un indice très important pour pouvoir traverser cet instant mystérieux tout en confiance. En effet, il dit aux gens qui l'entourent et à nous par la même occasion : « déliez-le, et laissez-le aller ». Un peu comme si nous étions nous aussi conviés à une double démarche à la fois vis-à-vis de nous-même mais également vis-à-vis de celles et ceux qui nous sont proches. La mort est effectivement un événement futur et certain auquel toutes et tous nous serons confrontés un jour. Lorsque nous aimons, il n'est pas facile de lâcher prise et de laisser l'autre poursuivre sa route mais autrement. En effet, pour nous, la mort, c'est être séparé. La vie, c'est être relié. Un peu comme les livres d'ailleurs. Les livres, pour les effacer, il suffit de ne jamais les ouvrir. Les gens, c'est pareil : pour les effacer, il suffit de ne jamais leur parler. Découvrons alors un autre manière d'aimer. En effet, dans l'événement de la mort de quelqu'un de proche nous sommes priés de ne pas le retenir pour nous-même mais de le laisser aller vers ce chemin nouveau qui s'inscrit dans l'éternité ; le laisser mourir à la vie d'ici pour qu'il puisse entrer vivant dans la vie éternelle. Ne ligotons pas l'être aimé dans des liens d'ici-bas mais libérons-le pour qu'il puisse librement entrer dans cette nouvelle page de son histoire. Consentons à sa mort, ce temps d'un instant, pour qu'il ou elle s'introduise dans la Lumière et la Paix de Dieu. Lorsque ce moment arrivera pour nous-mêmes, puissions-nous aussi nous libérer de liens qui nous ligotent à la terre pour nous laisser partir en confiance et plein d'espérance vers ce qui est de l'ordre de l'indicible. Que nous soyons ici ou déjà de l'autre côté, vivons avec cette certitude que les liens perdurent mais ils sont cette fois déliés de tout encombrement pour laisser l'espace à la tendresse intérieure qui se révèle en nous dans le mystère de la Résurrection.
Amen