Un vieux bénédictin, plein d'une sagesse fruit d'une longue vie à travailler, prier et méditer m'a un jour écrit : « une homélie n'est faite ni pour l'enseignement de la théologie ou de l'exégèse, ni pour un exercice de piété, ni pour des principes moraux ; chacune de ses disciplines ayant des lieux et des temps appropriés. Une homélie est faite pour annoncer la Bonne Nouvelle. » Il n'y a pas une unique façon dans être messager par les actes ou les paroles. Chacun avec son humanité, ses talents, ou ses limites tente tant bien que mal d'enseigner l'évangile qui ne peut se limiter au seul récit d'une histoire vieille de 2000 ans (comme on lirait des journaux de la 1ère guerre mondiale, avec curiosité mais sans que cela ne change quoique se soit à la vie du lecteur). Si la Nouvelle est Bonne, elle doit l'être encore aujourd'hui. Elle doit s'inculturer, s'incarner dans nos vies. L'essence même de l'Évangile est de nous aimer les uns les autres comme le Christ nous a aimé, parfois difficilement mais à chaque pas de nos vies un peu plus. À plusieurs reprises, Jésus enseigne qu'il est venu pour sauver et non pas pour juger. À sa suite, nous sommes invités à aider notre prochain à se laisser sauver par le Christ, plutôt que de l'enfermer dans un jugement radical et sans nuances. Aimer avec miséricorde (et la miséricorde n'est certainement pas une tolérance aveugle).
Ces derniers temps des actes du Vatican ont été diversement interprétés qu'il s'agisse de levée d'excommunication ou de paroles sur le sida. D'autres évêques jetant l'anathème sur une pauvre fillette brésilienne victime du comportement criminel d'un adulte qui lui, semble ignoré par la sanction. Il y a quelques mois un cardinal français avait des propos sottement antiféministes (les femmes dans l'Église : il ne suffit pas d'avoir one jupe, il faut encore avoir quelque chose dans la tête) et il y a quelques jours un autre évêque français faisant cette déclaration aussi stupide qu'antiscientifique (le virus du sida étant plus petit que le spermatozoïde n'est pas arrêté par le préservatif !). Mon propos n'est pas de faire ici la liste de ce que certains qualifient de disfonctionnement et que d'autres applaudissent. Mon propos est de réfléchir sur ce qui se passe, d'affirmer que la vie est préférable à la mort et que la miséricorde doit être spécialement attentive à ceux qui sont dans la détresse. La conscience plus ou moins éclairée de chacun permet de se positionner face à ces problèmes. Les uns sont blessés dans leur foi ou leur appartenance à l'Église, d'autres accusent les médias de déformer le message, d'autres encore manient avec prouesse la langue de bois (de brillants discours sans contenu). Mon propos ne porte pas sur un jugement public (et cela ne m'empêche pas d'avoir une opinion) mais d'aborder une question qui semble aussi importante que ce que la presse a dénoncé. Il s'agit de la radicalisation des positions, de la rupture d'une unité qui n'accepte plus les différences. Certains blessés ou ne pouvant accepter ce qu'ils entendent ou voient de la hiérarchie sont tentés de quitter l'Église (c.f. l'hémorragie en Allemagne et en Autriche). Quand on parle du Vatican, beaucoup pense l'Église. Certains ne se retrouvant plus dans son enseignement officiel sont tentés de faire le tri entre ce qui leur convient et ce qui leur est inacceptable au risque de se créer leur propre religion ! Mais l'Église n'est ni le pape ni la curie ni les évêques. L'Église est l'ensemble de ceux qui se réclamant du Christ et de son Salut miséricordieux. Avec le pape et les dignitaires de l'institution, nous sommes l'Église. Nous sommes, vous êtes l'Église non comme de moutons suiveurs ou des brebis égarées. Nous sommes l'Église comme des pierres vivantes. Chacun y a sa place et le Christ a besoin de chacun. Quelles que soient nos réactions ou nos amertumes, si nous osons nous réclamer du Christ, nous avons la mission d'être artisans de paix et d'unité à l'intérieur de notre groupe. La paix comme l'unité ne sont pas de diktats dans lesquels il faudrait se mouler, mais sont le fruit d'abandons réciproques, de reconnaissance de nos erreurs et de pas faits les uns vers les autres. Si Jésus avait attendu que nous soyons parfaits pour s'adresser à l'humanité, il ne serait jamais venu ! Combien de pas a-t-il fait non pour imposer sa perfection mais pour nous aider, nous inciter à sortir de notre misère et nous inciter à tendre vers sa perfection ? À la femme adultère, il dit : « ils ne t'ont pas condamnée, moi non plus je ne te condamne pas. Va et ne pêche plus. » Et il n'assortit pas sa miséricorde d'une condition suspensive au cas où elle réitérerait sa faute. Son exhortation à ne plus pêcher doit être assez forte pour la rendre forte. À Pierre qui fanfaronne un peu le soir de la Cène, il prédit qu'il aura renié trois fois avant le chant du coq. Il aurait pu lui dire ; je t'avais chargé d'être le roc sur lequel je bâtirai mon Église, je me rends compte que tu n'es pas très fiable. Au contraire, le Christ lucide confie l'Église à l'humanité telle qu'elle est, c'est-à-dire faillible. Avec une miséricorde infinie, les pas vers nous de Jésus ne le mènent pas à la gloire et au triomphe de ses idées mais sur une croix où il meurt supplicié comme le dernier des criminels. Ce coûteux et ultime pas du Christ réconcilie l'humanité pécheresse avec son créateur infiniment bon et miséricordieux, sans que nous le méritions. Il offre le Salut et la possibilité de participer à sa résurrection.
Nous inspirant du Christ venu à notre rencontre, essayons de faire quelques pas pour promouvoir la paix et l'unité au sein de notre Église tourmentée ces jours-ci. Église où chaque membre est autorisé à avoir des convictions et à les défendre, autorisé à faire entendre ses désaccords pour que les choses changent. Église où les grands ne peuvent se passer des petits. Église qui est le Corps du Christ que nous n'avons pas le droit de disloquer.
« Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi ». Ce 'tous les hommes' entendu à la fin de l'évangile, c'est le peuple de Dieu dont l'Eglise fait partie, autant l'Église des mitrés que celle des va-nu-pieds.
Si les racines meurent, la cime de l'arbre dépérit. La cime de l'Église doit vivre des racines que nous sommes. Si nous abandonnons notre besoin d'avoir raison à tout prix, si nous nous laissons mourir en terre comme le grain de blé de l'évangile, notre conviction pourra porter du fruit. La dépouille déposée au sépulcre a rendu la Résurrection possible.