5e dimanche de Carême, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

" Pour moi, jamais d'autre titre de gloire que la croix de notre Seigneur Jésus-Christ " (Paul aux Galates 6, 14)

Dimanche prochain, fête des Rameaux, nous écouterons le récit - selon S. Marc - de la joyeuse entrée de Jésus à Jérusalem.  Saint Jean  raconte, lui aussi, cet événement mais il ajoute une précieuse notation sur la conscience de Jésus : comment vit-il ce moment ? C'est le texte d'aujourd'hui.

Cinq jours avant la Pâque (12,12), les pèlerins de tous pays affluent par milliers dans la capitale afin de participer à cette grande fête de la libération. Soudain près d'une porte d'entrée de la ville, un cortège se forme  autour d'un certain Jésus que la foule acclame comme « Roi ». Intrigués par cette manifestation, des Grecs (c.à.d. des païens qui observent la religion juive) demandent aux apôtres: «  Nous voudrions voir Jésus ». Ils désirent sans doute avoir un entretien avec lui, connaître son projet mais Jésus interprète cette simple demande de curiosité comme un appel immense du monde païen.

Alors Jésus déclare : « L'HEURE est venue pour le Fils de l'homme d'être glorifié ! »
La mission de Jésus consiste à accomplir le projet de son Père dont les appels lui parviennent par des événements et qui culmine dans une certaine « heure ». Jusqu'ici elle n'était pas arrivée, c'est pourquoi ses ennemis n'avaient pas réussi à l'arrêter (7, 30 ; 8,20): maintenant la demande des païens lui signifie qu'elle est là. Son peuple qui est en train de l'applaudir va le rejeter mais, en offrant sa vie consciemment, en aimant jusqu'à l'extrême (13,1), en manifestant sur la croix que « Dieu a tant aimé le monde qu'il donne son Fils pour le sauver » (3, 16), Jésus va ouvrir le Royaume à tous les peuples. Pendu au gibet, le Fils de l'homme, sur le trône de la croix, manifestera sa gloire à tous les peuples. Partout et jusqu'à la fin des temps, les hommes pourront VOIR QUI EST JESUS POUR EUX, comprendre qu'il est leur Sauveur.

« Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.... »
Adulé pour ses prédications et ses miracles, Jésus sait qu'il est malgré tout resté « seul »car le corps qui nous permet de communiquer avec autrui nous enferme aussi en nous. L'heure terrifiante et glorifiante est venue où, comme le grain de blé, il va s'ouvrir afin de devenir la nouvelle moisson de l'humanité sauvée. Et cette parabole exprime une loi universelle :
Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s'en détache la garde pour la Vie éternelle.
Cette phrase est celle qui est la plus répétée de tous les évangiles tellement nous sommes durs à l'admettre ; en effet tout notre être biologique est centré sur la sauvegarde de la vie et il se rétracte devant la perspective de la mort. Pourtant il est indispensable non de disparaître, de nous anéantir, mais de savoir sacrifier une vie éphémère pour déboucher dans la vraie Vie, la Vie de Dieu.
Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur.
Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera.
Jésus n'impose jamais le sacrifice comme un ordre. « Si quelqu'un veut...» : que chacun réfléchisse aux enjeux de la vie, au sens de la condition humaine, qu'il écoute Jésus et son Evangile, qu'il décide de s'attacher à lui et qu'il prenne le même chemin. En toute liberté. C'est l'amour de Jésus qui lui permettra d'être à son tour un grain qui se laisse ouvrir : alors il pourra « voir Jésus », demeurer toujours avec lui dans la Gloire du Père.

L'AGONIE ET LA GLORIFICATION

Quelle « heure » pathétique ! Au moment même où il est porté par la ferveur populaire, Jésus sait que, dans quelques jours, ces mêmes gens, déçus par sa non-violence, hurleront à sa mort et ses chers disciples qui l'escortent avec admiration l'abandonneront lâchement. « Faut-il » vraiment passer par là ? La perspective de la croix toute proche est tellement épouvantable que c'est ici, en plein public, que Jésus connaît une sorte d'agonie, dit Jean- qui ne la racontera pas au Jardin des Oliviers car pendant le récit de la Passion, Jean montrera un Jésus sûr de lui, décidé, impassible.

Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Dirai-je : « Père, délivre-moi de cette Heure » ?...Mais non ! C'est pour cela que je suis parvenu à cette Heure-ci. Père, glorifie ton Nom ! ». Alors du ciel vint une voix : «  Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore ».
En l'entendant la foule disait que c'était un coup de tonnerre ; d'autres disaient : «  C'est un ange qui lui a parlé »....
La souffrance et la mort ne sont pas un mauvais moment à passer avec la conviction que tout ira mieux ensuite : elles demeurent l'horreur devant laquelle même le Fils de Dieu est pris de panique - le verbe est très fort - comme il l'était déjà devant la mort de Lazare (11, 33).
Il faut toujours le répéter : Dieu n'est pas une idole sanguinaire qui impose la mort à son Fils pour calmer son courroux. Jésus n'est polarisé que par une seule chose : la Gloire de son Père, c.à.d. la révélation du vrai Visage de Dieu. Donc il veut, en vrai Fils, accomplir la mission reçue, dire et faire la Vérité : cela oblige à contester des pratiques religieuses formalistes et des rites hypocrites. En conséquence s'attirer l'hostilité de ceux qui s'y accrochent. En ayant terriblement peur mais en continuant à aimer.
Alors là où se déchaînent mensonge et haine, se manifestera la Gloire de Dieu.
Jésus répondit : «  Ce n'est pas pour moi que cette voix s'est fait entendre, c'est pour vous. Voici maintenant le jugement (en grec : crisis) de ce monde; voici maintenant que le prince de ce monde va être jeté bas ; et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes ». Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.
Accusé de blasphème, Jésus aurait dû normalement être lapidé (8, 59 : 10, 31) mais, il le savait, il mourra sur une croix. Hissé sur le gibet entre terre et ciel, il sera « élevé » ; sans le savoir, ses bourreaux le placeront sur son siège de tribunal. Entre ciel et terre, il sera « médiateur » unique entre Dieu et l'humanité. Et le prisonnier sera le Juge. Devant lui, le satan, ce « prince » qui veut diriger le Royaume, cette force mystérieuse et implacable qui s'acharne à séparer Dieu et homme (shatan signifie « diviseur ») basculera : ce sera la défaite radicale du péché,  de la haine, de l'attachement à soi, de l'égoïsme.
Dès lors Jésus, c½ur ouvert - moins par le coup de lance que par l'amour -, attirera des hommes et des femmes de toute origine, de toute condition. Les pires pécheurs, bouleversés, recevront le pardon et les croyants pieux perdront assurance et pharisaïsme.
La croix est devenue l'axe de l'histoire : devant elle, tout homme joue son destin et se décide. Est-elle folie ou sagesse de Dieu ? Scandale ou puissance de Dieu ?

CONCLUSION

L'Eglise aimait recevoir des compliments, être félicitée pour ses réseaux d'½uvres multiples, son Vatican majestueux et les chrétiens aimaient les pèlerinages de foule, les églises pleines, les Te Deum tonitruants. Mais voici que les sanctuaires se vident, les édifices sont à vendre, les couvents se ferment, les prêtres se raréfient. La crise ? La vraie crise ne se réduit pas à une chute quantitative. QUELLE HEURE sommes-nous appelés à vivre ? Comment l'interpréter ? Ces craquements annoncent quelles ouvertures ? Quelles pertes sont nécessaires pour une nouvelle moisson ? Les gens ne nous acclament plus, les chrétiens avec leurs rameaux sont ridiculisés.  Mais écoutons le cri du monde : « NOUS VOUDRIONS VOIR JESUS ».

Retournerons-vous en arrière, avides d'applaudissements, en quête d'approbation ? Ou oserons-nous être des grains qui acceptent de tomber, d'être piétinés et broyés ? Aurons-nous le courage d'avancer avec nos peurs dans la solitude, d'accepter la défiguration pour recevoir la transfiguration ?
C'est moi en croix, dit Jésus, qui suis LA CRISE  du monde et de l'Eglise.