La liturgie peut parfois nous réserver des surprises, et même de bonnes surprises. Habituellement, nous écoutons d'une oreille distraite la deuxième lecture. Celle-ci, le plus souvent, présente un extrait d'une lettre de saint Paul où, de façon très doctorale, l'apôtre explique de façon abstraite, de très belles idées, mais de façon un peu compliquée. La première lecture a l'avantage de souvent nous raconter un épisode de l'histoire sainte : c'est bien plus intéressant. Au moins, il y a de l'action. L'Evangile lui nous raconte un épisode de la vie de Jésus. Là aussi il y a de l'action. Mais la deuxième lecture, c'est bien plus compliqué. Surtout quand elle est tirée de la lettre aux Hébreux. Son auteur ne devait pas être bien rigolo. Il ressasse de vieilles histoires de l'ancienne alliance, et cela dans un style lourd et alambiqué. Et pourtant il y a parfois des surprises, et même de bonnes surprises. Voyez le début de cette lecture : « Le Christ, pendant les jours de sa vie mortelle, a présenté avec un grand cri et dans les larmes sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ». Dans cette phrase, l'auteur nous dit des choses merveilleuses, bouleversantes. Tout d'abord, le Christ a crié, il a pleuré. Comment peut-on imaginer qu'un homme aussi grand, aussi fort, aussi admirable puisse crier et pleurer ? Quand nous avons des moments de faiblesse, nous en sommes tout honteux. On ne devrait pas crier, on ne devrait pas pleurer. Il faudrait pouvoir être toujours maître de soi, ne pas être victime des circonstances, ne pas être brisé par les événements, rester au-dessus de la mêlée. Mais le Christ lui-même a crié et a pleuré. Comment cet auteur de la lettre aux Hébreux a-t-il pu écrire une chose pareille ? Pour lui, ce devait être déchirant d'imaginer que le Dieu qu'il connaît, le Dieu de l'Ancien Testament puisse avoir de tels sentiments de douleur. Certes, il le sait : dans l'ancienne alliance, Dieu parfois est animé de sentiments. Ce peut être la colère comme avant le déluge. Ce peut être le dépit comme quand par la bouche des prophètes il s'exclame : « regarde, peuple d'Israël, tout ce que j'ai fait pour toi ; comment peux-tu être aussi infidèle ? ». Mais il n'est pas question de sentiments de douleur et de désespoir. D'ailleurs, comment Dieu aurait-il pu se plaindre et à qui aurait-il pu adresser sa plainte puisque, selon l'ancienne alliance, il était solitaire dans les cieux ? Mais voilà que dans la nouvelle alliance on nous parle d'un Dieu à plusieurs personnes, d'un Dieu qui a déjà une histoire d'amour à l'intérieur de lui-même, d'un Dieu non pas solitaire, mais déjà en communion de relations. Et ce Dieu est capable de sentiments ou, plus précisément, Jésus, dans sa vie mortelle, a éprouvé des sentiments humains. Ce n'est pas simplement la grande vedette, le grand héros capable de battre toutes les puissances du mal, le Dieu invincible et toujours triomphant. C'est un homme, c'est un Dieu qui vient nous chercher dans la profondeur de notre humanité. Et c'est là peut-être notre effort de carême cette année-ci : ne pas chercher des choses nouvelles, mais vivre notre vie de façon nouvelle, avec une profondeur et une intensité pleines de vérité. Il y a tant de choses que l'on sait : Dieu est amour, Dieu est miséricorde, nous sommes tous frères, etc. Mais est-ce que nous vivons chacune de ces belles paroles ? Est-ce que nous leur donnons tout ce poids de chair et de sang qui leur donnerait véritablement la vie, qui serait véritablement pour nous porteur de vie ? Oui, c'est à nous à redécouvrir toute la chaleur humaine des hommes et des femmes que nous rencontrons. Bien souvent, ils nous apparaissent comme la lettre aux Hébreux, riches de contenu, mais un peu ennuyeux, tellement ennuyeux qu'on ne les écoute même plus, qu'on ne les admire même plus. Laissons donc à Dieu la chance de nous parler, de nous bouleverser. Alors vraiment nous saurons ce que cela veut dire : être aimé de Dieu pour l'éternité.