Nous savons tous que s'il fallait qualifier l'originalité du message de Jésus par rapport à la prédication des prophètes de l'Ancien Testament, il faudrait dire - et nous définissons d'ailleurs par-là une attitude de Jésus - : « Il mangeait avec les pécheurs. » Par sa parole, par ses actes, Jésus vit et prône une logique de solidarité. Dans ce passage, une autre logique se met en place, celle de l'exclusion.
St. Jean parle d'un cercle. Pharisiens et scribes - les parfaits et les garants de la loi de Moïse-, encerclent Jésus et cette femme sans prénom. C'est un cercle mortel. Une femme est piégée parce que prise en flagrant délit et exposée à des regards de véritables « voyeurs » ! Jésus est piégé et mis sur la sellette dans le but d'être accusé et disqualifié. Le piège est tendu « au nom de la Loi ». C'est la froide logique du processus légal qui mène à la mort. Transgression égale châtiment, voire châtiment mortel, ici la lapidation.
Les pharisiens et les juristes exégètes ont substitué à la logique de l'amour- rédempteur, l'obéissance à la loi, la vertu et l'obsession de leur propre sainteté. Mais une sainteté qui tue ne peut être qu'imposture. Ils ont les mains pures, dirait Péguy, mais ont-ils des mains ?
A cela, Jésus oppose une autre logique qu'il introduit par un temps de silence, symbole d'un retour sur soi. Jésus, par deux fois, écrit avec un doigt sur le sol sablonneux malgré l'impatience des accusateurs qui veulent en découdre au plus vite. Or, nous savons, par le prophète Jérémie, qu'écrire le nom d'une personne dans la poussière indiquait que celle-ci était vouée à la mort. Mais qui, ici, est voué à la mort ? La suite de la péricope nous le dit. La relation à Dieu est très proche d'être perdue quand on imagine le posséder comme un droit acquis. La relation à Dieu est bien proche d'être retrouvée quand on garde la contrition dans l'âme et l'espérance au c½ur.
Quel contraste entre la Loi figée dans des tables de pierre immuable et la souplesse du pardon de Dieu qui glisse dans une âme désemparée, comme le sable entre les doigts ! Jésus écrit sur le sol, lieu de la marche exigeante sur la route rocailleuse de la vie. Jésus écrit dans la glaise, lieu fragile de nos origines et de notre nature duelle et ambiguë, matière et esprit, lieu d'un cheminement périlleux sur les sables mouvants de l'existence.
D'accusateurs publics de la femme adultère, d'accusateurs publics de Jésus, soupçonné d'adultère à la Loi, Jésus met les vertueux scandalisés en position d'accusés : « Que les parfaits parmi vous lui jettent la première pierre ! » Pour une fois, les pharisiens vont être logiques : les plus vieux partiront les premiers. C'est que, pour Jésus, il s'agit moins de juger son passé que de proférer son avenir, il s'agit moins de condamner son présent que de mieux créer son futur. Salves d'espérance au creux de nos errances ! « Va et ne pèche plus » !
« Dieu est bon, il n'est pas faible » disaient les jansénistes. Mais une bonté sans ce que notre dureté appelle « faiblesse », une bonté réelle et absolue, sans cette faiblesse d'indulgence, de clémence et de miséricorde est une bonté inhumaine et terrible. Elle n'est pas celle de Dieu. Dieu, lui, est faible par nature. La Rédemption est là pour le prouver. La Croix me donne raison. Et si l'amour de Dieu est inconditionnel et sans repentance, s'il s'adresse aux humains que nous sommes, nous qui fautons parfois d'une manière si incongrue, voire épouvantable (regardons le monde), cet amour divin, de bonté belle et parfaite, pourra bien trouver pour chacun d'entre-nous le chemin rédempteur et de quoi et comment nous sauver.
Face à cette femme, image de toutes nos idolâtries (la prostitution et l'infidélité étaient l'image de l'abandon par Israël de Dieu), face à l'errance, il y a Jésus. Or, cet épisode de l'Evangile se passe le jour de la fête des Tentes qui clôture l'année liturgique en Israël et qui en est le sommet. Ce grand jour festif où dans la lumière, les processions et les chants se célébrait la « joie libératrice de la Loi ».
La joie libératrice de la Loi ! ? Quel paradoxe ! On célèbre, heureux, la loi qui libère et on veut mettre à mort quelqu'un, dans la honte et la colère, au nom de cette même Loi ! C'est bien le dilemme que relayera St. Paul : la grâce ou la loi, la vie ou la mort, l'amour ou la punition, la vengeance ou le pardon ! La loi : un amour mal compris, mal vécu et c'est la mort. La grâce : une invitation à mieux aimer, à aimer toujours, à aimer plus (car on n'aime jamais assez), à se convertir à l'amour et c'est la vie. Courbé ou debout ? A nous de choisir !