5e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

Certains articles dans la presse ne vous auront sans doute pas échappé cette semaine. Ils traitaient de notre trop grosse consommation de sel. « Le Belge consomme trop de sel » titrait un grand quotidien en ligne, si bien qu'une association de consommateurs plaide aujourd'hui pour une harmonisation de la politique nutritionnelle au niveau européen sur le sel. Vous imaginez ! Il paraît qu'en moyenne, nous consommons chaque jour le triple de ce dont nous avons réellement besoin... Il convient donc d'être mesurés avec le sel ! Mais pas seulement avec cet aliment... avec le soleil et lumière également ! Dans quelques mois, au c½ur de l'été, la presse nous invitera probablement à faire attention au soleil. Et les titres seront : les belges utilisent trop peu de crème solaire, ne font pas assez attention au soleil...

« Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde » nous dit l'évangile. Faut-il faire le régime de ce que nous sommes et de ce qui nous fait vivre?

Dans notre culture du contrôle, qui se méfie volontiers de tout, le sel et la lumière ne sont pas regardés de la même manière que du temps Jésus. En effet, dans l'antiquité, le sel et la lumière étaient deux réalités considérées comme tout à fait essentielles. D'après un vieux proverbe latin, « il n'y a rien de plus utile à la santé que le sel et le soleil ». Aussi les médecins de l'époque prescrivaient-ils constamment l'usage du sel ! Les choses, vous le savez, ont bien changé !

Alors, quelle pertinence donner à ce symbole proposé par l'évangile ? Permettez-moi aujourd'hui de m'attarder sur ce symbole du sel, que nous avons à être chaque jour davantage !

Etre du sel, c'est vivre le paradoxe de la vie, c'est conjuguer en même temps deux dimensions apparemment contradictoires. Car le sel est, d'une part, ce qui permet de garder et conserver les aliments, et d'autre part, ce qui attaque et purifie.

Le sel est d'abord ce qui conserve. Etre salin, vivre de l'évangile, c'est avoir tout d'abord une capacité de garde et de veille. Il  y a au fond de chacun et chacune d'entre nous un trésor à conserver. Etre du sel, c'est parvenir à garder ce qui nous nourrit : des paroles et des gestes qui nous ont façonnés. Des valeurs aussi, qui nous ont fait grandir. Etre sel de la terre, c'est bien discerner l'essentiel, ce qui dure, au-delà du sucré et du mielleux. Etre sel de la terre, c'est, avec très peu de choses --avec des gestes tout simples et tout ordinaires-- donner du goût à la vie, offrir de la saveur à nos existences. Il faut quelques grains de sel pour changer un plat, ou le rater, mais je ne veux pas dénoncer publiquement mes frères cuisiniers !?Etre salin selon l'évangile, ce n'est pas conserver de l'ancien dans du neuf, c'est avoir cette capacité de toujours garder et regarder l'essentiel. ??Vous le savez, nos histoires se construisent sur des rencontres. Heureuses ou douloureuses, nous ne pourrions avancer, si nous n'avions pas cette capacité à chérir et conserver au fond de nous ce qui nous a fait grandir : toutes ces rencontres qui nous ont façonnés, sans nier ces moments plus difficiles que nous avons traversés. Etre du sel, c'est conserver, reprendre à soi son histoire plutôt que de la rejeter ou de lutter contre ce qui ne peut plus être changé. Etre du sel, c'est avoir cette capacité de se souvenir, de faire mémoire. 

Mais d'un autre côté, et dans le même mouvement, pour être sel de la terre, nous avons le devoir d'attaquer, d'éliminer ce qui nous empêche d'avancer. Le sel est en effet ce qui peut purifier, ronger, attaquer. Etre du sel, c'est parfois s'inscrire en faux contre ce qui fausse l'humain. Il est tentant  parfois, de se laisser absorber, de se dissoudre : « Tout le monde le fait, alors pourquoi pas moi ? ». Il ne s'agit pas d'être caustique ou destructeur, mais il s'agit de développer en nous cette capacité à dire « Non ».
Voilà donc le paradoxe du sel. Capacité à dire oui à la vie et à dire non à ce qui fausse l'humain. Conservateur et purifiant, tout l'art est dans l'équilibre de ces deux dimensions. Si certains se posent en étant des agents conservateur figés, d'autres se posent en s'opposant, en mordant, en attaquant. Il y a les uns qui veulent une société pour l'homme tel qu'il est et qu'il faut conserver, d'autres pour l'homme qu'il devrait être.
L'évangile est plus subtil que cette alternative. Il nous invite à créer un monde, c'est à dire le royaume, pour l'homme tel qu'il peut être et devenir. Voilà la soif que procure le sel de l'évangile, la soif d'aimer et d'exister.

On dit qu'il faut trois grammes de sel maximum par jour. Alors je nous invite à faire le régime évangélique : à mettre chaque jour trois grains de sel dans nos vies :
- un petit grain d'évangile pour vous conserver dans nos c½urs celles et ceux que nous aimons, même si nous ne les voyons peut-être plus.
- mettons aussi notre petit grain de sel, pour oser nous inscrire en faux contre ce qui autour de nous fausse l'humain...   ?- et enfin, un dernier grain de sel évangélique, pour vous donner ?le goût de vivre, la soif d'aimer...

Voici le programme de l'évangile que nous sommes invités à vivre ! ?Bon régime... mais attention aux excès... pour éviter l'hypertension spirituelle... Amen !