UN EVANGILE QUI NE MANQUE PAS DE SEL
Dimanche passé, la fête de la Présentation a prévalu sur la liturgie du 4èmedimanche qui commençait la lecture du Sermon sur la montagne (lecture qui se poursuit sur 6 dimanches) si bien que nous n'avons pas entendu le magnifique évangile des Béatitudes qui ouvre le long et solennel enseignement de Jésus, nouveau Moïse donnant la Loi nouvelle. Il est donc indispensable de le rappeler brièvement puisque l'évangile d'aujourd'hui sera son application.
Heureux les pauvres de c½ur : le Royaume des cieux est à eux !
Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise !
Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés !
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés !
Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde !
Heureux les c½urs purs : ils verront Dieu !
Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu !
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux !
Voilà, dit Jésus, le programme de bonheur que je propose à tout homme, à l'opposé de ce qui est recommandé d'ordinaire (bonheur dans l'enrichissement, la vanité, l'impureté, l'indifférence aux démunis, la tranquillité égoïste, etc.). Ce bonheur n'est pas une utopie irréaliste, un idéal pour ascètes dans le désert : il peut être poursuivi par des gens de toutes conditions, de tous âges, à travers tous les temps, au c½ur de la vie quotidienne et des tentations.
Eh bien, poursuit Jésus, si vous cherchez le Royaume de cette manière, vous remplirez une mission indispensable, une tâche essentielle. Et il l'explique tout de suite par deux petites paraboles qui constituent la conclusion pratique des Béatitudes - évangile de ce jour.
1. DONNER DU SENS ET LE GOÛT DE VIVRE
Comme les disciples s'étaient rassemblés autour de Jésus sur la montagne, (après avoir lancé les 8 béatitudes), il leur disait : « Vous êtes le sel de la terre. Si le sel se dénature, comment redeviendra-t-il du sel ? Il n'est plus bon à rien : on le jette dehors et les gens le piétinent.
Non pas « vos prédications », « vos cathédrales », « vos livres » mais VOUS, les personnes.
Non pas « vous serez peut-être un jour... » mais VOUS ETES... ici ... sur le champ.
Non pas « Il faut faire ceci, cela... » mais « constatez ce qui se passe quand vous vivez mon bonheur »
Non pas « dans vos chapelles, vos couvents, dans un milieu chrétien» mais « DE LA TERRE » - c.à.d. toujours et partout, dans tous les peuples, à toutes les époques. Les Béatitudes sont le message universel (« catholique ») par excellence.
Pourquoi le sel ? Parce qu'il sert à donner du goût et à conserver.
Les personnes qui mettent en pratique les Béatitudes deviennent, sans même le rechercher, animatrices, elles donnent du prix, de la saveur à la vie. Connaître Gandhi et saint François d'Assise, Martin Luther King et Nelson Mandela, permet de croire en l'homme, de découvrir qu'il vaut la peine de vivre. Qu'un homme se montre heureux de ne pas courir après la fortune et les honneurs, heureux de pardonner à son ennemi, heureux d'être moqué et persécuté parce qu'il a la foi : voilà le témoignage rendu à la vérité de l'Evangile, la preuve que l'humanité n'est pas condamnée à la loi de la jungle.
Les béatitudes renversent les idoles actuelles : l'adoration du veau d'or, la course effrénée au profit, le chacun pour soi, l'indifférence aux malheureux. Elles guérissent du désespoir, de l'ennui, du fatalisme, de l'indifférence.
Dans notre société qui semble un paradis où tous les désirs sont satisfaits, des jeunes, par centaines de milliers (dont même des super-diplômés) errent sans travail, beaucoup se perdent dans l'alcool et les drogues ; les personnes âgées sont laissées pour compte. Tandis que des milliardaires gonflent sans arrêt leur avoir, et que des patrons reçoivent des traitements obscènes, les organisations humanitaires ne parviennent plus à nourrir tous les démunis. Ce monde a-t-il un sens ?
Mais des hommes et des femmes refusent cette injustice, se dressent pour réagir et luttent, souvent dans l'ombre, pour un monde plus fraternel. Opter pour une vie simple, visiter les malades hospitalisés, remettre un jeune debout, réconcilier des ennemis, lutter pour la justice, ... : les béatitudes ne demandent qu'à s'incarner, elles attendent nos yeux pour voir les besoins, nos oreilles pour entendre les cris, nos bras pour passer à l'action. Alors la vie a du sens. Il vaut la peine de renoncer à l'égoïsme, de sortir de sa bulle confortable.
ATTENTION !: Il y a un très grand danger pour ce sel : il ne vient pas du milieu dans lequel il tombe, de la somme d'ignominie et de débauche du monde, des dimensions colossales des obstacles à vaincre. Le danger est en lui : qu'il perde son tranchant, sa force, son altérité, sa différence d'avec le reste. S'il devient talc ou poudre de riz, il peut bien maquiller les faux dévots en leur donnant une apparence chrétienne mais il ne sert à rien, il n'exerce aucune influence, il laisse tout en l'état.
2. ECLAIRER POUR FAIRE VOIR DIEU
« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l'on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux ».
L'image du sel évoquait l'enfouissement, le travail intérieur, l'½uvre secrète en pleine pâte de la réalité: celle de la lumière insiste sur la manifestation extérieure.
En effet le message évangélique n'est pas une gnose que des initiés se transmettraient en secret : il est révélation publique, manifestation lumineuse. L'Eglise, la communauté de Jésus se montre à toutes les nations, elle ne peut rester enfouie dans les cavernes de la peur, cloîtrée dans les sacristies : elle est « ville », communauté visible. « Ce que je vous dis en secret, proclamez-le sur les toits ».
« Les hommes doivent voir ce que vous faites de bien » : la foi est acte.
Non pour que le monde vous applaudisse, vous embrasse, vous décore... mais pour qu'il arrive à rendre gloire au Père. En effet les béatitudes vécues ne manifestent pas les qualités exceptionnelles des pratiquants. Comme la lampe brille par le courant électrique sur lequel elle est branchée, ainsi les hommes des béatitudes manifestent l'action de l'Esprit qui les inspire. Peu leur chaut de devenir célèbres, d'être applaudis par les foules, décorés par les puissants : ils savent que la gloire qu'on leur attribuerait serait volée à celle qui seule importe, celle de leur Père. Ils ne veulent pas être des vedettes au centre des foules en délire, ni avoir leur noms sur les affiches. Ce qui est leur seule passion : faire découvrir l'auteur de leur vie, amener les hommes à réfléchir : « Pourquoi ces gens agissent-ils de cette manière ? Dieu existerait-il ?... ».
La foi authentique n'est pas une piété aux yeux fermés, la messe n'est pas une routine ennuyeuse, l'Eglise n'est pas un enclos pour brebis frileuses, la morale n'est pas gratouillis de conscience, l'espérance n'est pas le mirage d'un avenir hypothétique.
L'Evangile lance en plein c½ur de la société, là où se joue le destin du monde, là où les tsunamis des puissants écrasent les petits, là où les tempêtes veulent chasser l'espérance.
5e dimanche ordinaire, année A
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A
- Année: 2013-2014