5e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2008-2009

Le monde va mal : beaucoup de souffrances, de malades, de malheureux, comme ce Job que nous avons écouté. Peut-il y avoir un Dieu tout puissant et en même temps la souffrance, l'injustice et le non sens ? Je vous propose de réfléchir aux attitudes possibles devant le mal et de voir celles qui nous semblent chrétiennes ou non. 1° Parlons d'abord du stoïcisme, qui ne fait aucune référence à Dieu, soit parce qu'il n'existe pas, soit parce qu'il est trop loin comme le pense Platon. C'est une attitude très moderne, humaniste et pas très éloignée du bouddhisme, une attitude qui ne manque pas de dignité : « Anekou kai apekou » en grec, « sustine et abstine » en latin (supporte et abstiens-toi) ou, comme on dit en Haïti « Kenbe, pa lage » « Tiens bon, ne lâche pas ! ». Cette philosophie du IVè s. avant J.C. peut se résumer à la formule d'Epictète : « Ne demande pas que ce qui arrive, arrive comme tu veux, mais veuille que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux ». En quelque sorte glisse ta main dans le gant, accorde-toi à ce qui vient, même si c'est affreux, soumets-toi au Destin, à la Fatalité.Cette attitude a souvent été prêchée, mais est-elle chrétienne ? Jésus était-il stoïcien ? Socrate a toujours été reconnu par le pères de l'Eglise comme une figure du Christ, comme une sorte de prophète païen. Il est mort pour la vérité, condamné par les autorités, mais quand il boit la cigüe, il dit à l'un de ses disciples qui commence à pleurer : ne pleure pas, réjouis-toi plutôt car je quitte ce corps et je vais vers le monde parfait. Socrate reste serein, alors que Jésus souffre l'agonie au point de transpirer du sang. 2° La seconde attitude, à l'opposé de cette résignation, est celle de la révolte. La révolte contre Dieu. Comme le dit le philosophe Lactance, converti au christianisme, au 3ème siècle : « Si Dieu veut supprimer le mal et ne peut le faire, c'est qu'il n'est pas tout-puissant. Ce qui est contradictoire. S'il le peut et ne le veut pas, c'est qu'il ne nous aime pas. Ce qui est également contradictoire. S'il ne le peut ni ne le veut, c'est qu'il n'a ni puissance ni amour et donc qu'il n'est pas Dieu. S'il le peut et le veut...d'où vient donc le mal et pourquoi ne le supprime-t-il pas ? ». Dans cette lignée viennent un bon nombre de penseurs. « Puisque l'ordre du monde est réglé par la mort -écrit Camus-, peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu'on ne croie pas en Lui et qu'on lutte de toutes ses forces contre la mort, sans lever les yeux vers un ciel où il se tait. » Ou encore : « Je refuserai jusqu'au bout cette création où des enfants sont torturés. » « La seule excuse de Dieu, c'est qu'il n'existe pas ! » écrit Stendhal. Aussi surprenant que cela paraisse, ces propos révoltés se retrouvent dans la Bible, de la part de Job bien sûr, mais aussi du prophète Elie quand il veut mourir et, plus encore de la part du prophète Jérémie quand maudit le jour de sa naissance et dit à Dieu « Tu n'es pour moi qu'un ruisseau trompeur aux eaux décevantes ». Chrétienne, cette attitude de révolte ? Jésus n'a-t-il pas crié : « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » 3° La troisième attitude est à l'opposé de la précédente. Au lieu d'accuser Dieu, il s'agit de l'innocenter, lui ôter toute responsabilité dans l'existence du mal. L'argument de Leibniz est simple : si l'on pouvait voir la réalité dans son ensemble, on percevrait une harmonie globale. Le mal est nécessaire dans le monde comme les ombres dans un tableau. « Le mal est dans le monde, écrivait Paul Claudel, comme l'esclave dans un moulin, qui fait monter l'eau ». Les arguments sont parfois contradictoires : tout d'abord on dira que la souffrance est un châtiment, ensuite on dira que la souffrance est une épreuve que Dieu fait subir à ses préférés pour qu'ils en sortent grandis... Cette perception peut conduire à des extrêmes, à un goût morbide de la souffrance pour elle-même, avec d'horribles représentations de Dieu ; 1) Une vieille dame diabétique, amputée d'une jambe, qui dit par exemple : « J'espère que le bon dieu ne va pas me couper l'autre ». 2) Un visiteur de malade qui apprécie :« Le Bon Dieu doit vous aimer beaucoup pour vous envoyer une telle épreuve ! » La réponse est directe : « Dites-lui de cesser de m'aimer ! » 3) « Mon Père, pour Dieu, la souffrance, c'est un capital ! » m'a dit un jour un malade dans un hôpital de Lourdes. Je lui ai répondu : « Arrêtez, vous faites de Dieu à la fois un sadique et un capitaliste ! » 4° La quatrième attitude est celle d'une alliance avec Dieu pour agir avec lui et pour lui Dans l'histoire d'Israël, l'expérience fondamentale est celle de la libération de l'esclavage et du génocide. Dieu vient libérer son peuple, il fait alliance avec lui. Il le sauve en combattant pour lui et avec lui, en l'associant à sa propre libération. Dieu n'est pas « au-dessus », mais « au c½ur » de l'histoire humaine : notre combat est le sien. Il fait corps avec nous et si notre louange se chantera tout à l'heure : « par Lui, avec Lui et en Lui » c'est parce que notre lutte contre la souffrance et le mal se fait aussi « par Lui, avec Lui et en Lui » ! Le Christ n'a aucun discours théorique sur la souffrance : Il est contre, tout simplement ! Il ne l'explique pas, il la saisit. Elle devient lieu de combat, de mobilisation. La souffrance de l'autre me convoque à la responsabilité. La question n'est pas « Pourquoi le mal ? » mais « que faire contre le mal ? » Ce qui nous sauve, ce n'est pas la souffrance ni la croix (qui est un instrument de torture, au même titre que la guillotine ou la mitraillette), mais le crucifié. Comme le dit Claudel « Il n'a pas supprimé la souffrance mais il l'a remplie de sa présence ». Pour terminer, j'aimerais rappeler quelques évidences :
-  il n'y a que des vivants qui peuvent mourir.
-  il n'y a que ceux qui ont espéré, qui peuvent être déçus.
-  il n'y a que ceux qui se sont lancés dans des projets, qui peuvent connaître l'échec. De même : il n'y a que ceux qui aiment vraiment, qui peuvent souffrir. La présence de Dieu au coeur de notre souffrance, nous dit que notre désir ne peut être absurde, que notre vie ne va pas vers le néant. Nous croyons en la Résurrection du Christ et en celle de toutes les victimes, nous croyons en leur totale et définitive réhabilitation. Mais il y a de la souffrance dans le monde : « la création toute entière gémit dans les douleurs de l'enfantement. »