5e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

 

Si aujourd'hui, nous connaissons l'adage " métro-boulot-dodo ", Jésus lui appliquait plutôt le suivant " boulot-théo-dodo ". Comme le montre l'évangile, le Fils de Dieu travaillait beaucoup mais à la différence de plusieurs d'entre nous, il prenait aussi le temps de s'arrêter : un temps pour l'autre, un temps pour Dieu, un temps pour lui.

Voilà une belle proposition de vie. Alors, face à la course folle de tous les jours, nous est-il possible de poser le temps pour retrouver tout simplement du temps pour soi, du temps pour Dieu ? Pour certains, il faudra attendre comme Job, c'est-à-dire que la navette du tisserand s'achèvera au moment où il n'y aura plus de fil.

En termes plus contemporains, cela pourrait vouloir signifier que je calmerai le jeu de l'agenda lorsque ma santé me fera clairement comprendre qu'en jouant ainsi avec la vie, je risque d'entrer plus rapidement dans la mort. Donner sa vie au temps par peur de devoir s'arrêter, car s'arrêter prétend la psychanalyste Alice Miller, c'est se mettre à penser et c'est risquer d'entrer en dépression de laquelle il n'est pas toujours aisé de sortir. Cela semble être le cas de Job, fort déprimé dans l'extrait que nous venons d'entendre. Une petite dose de Prozac pourrait d'ailleurs lui faire le plus grand bien.

Aujourd'hui, plus qu'hier sans doute, les maladies de l'esprit prennent souvent le dessus. Un risque existe : celui de s'enfermer dans une spirale de la désespérance en imaginant que nous serons toutes et tous à même de régler cela sans l'aide d'autrui. Sentiment absurde qui peut nous traverser et qui va tellement à l'encontre de notre humanité.

Par définition, par essence, nous les êtres humains nous sommes des êtres de relations. La relation nous précède puisque nous sommes nés de celle-ci et que tout au long de la vie nous avons besoin d'être nourris par elle. La relation est donc bien au c½ur de notre existence. Il n'est pas aisé d'accepter un tel constat surtout dans une société qui prône l'individualisme à outrance. Mais cette dernière peut se tromper et je crois qu'elle le fait en proposant une telle contre-valeur.

En effet, c'est bien par la relation que je peux me sentir soutenu lorsque je suis frappé de cette souffrance morale et que je transforme les mots de Descartes en " je souffre donc je suis " tellement la souffrance fait partie intégrante de mon identité. C'est par la relation que je me relève de ces moments où tout me semble si gris et maussade car l'autre me permet de retisser des liens sociaux desquels je m'était inconsciemment exclus. A nouveau, cela exige une certaine dose d'humilité, celle de reconnaître que jamais je ne pourrai m'en sortir tout seul, que l'autre, quel qu'il soit, m'est nécessaire à tout relèvement. Peut-être qu'avoir tant besoin des autres peut sembler pour certains une fragilité.

Mais cette fragilité se transforme en force indéniable pour la vie lorsque je prends conscience de cette réalité qui fait partie intégrante de tout individu. Nous sommes tous quelque part des êtres fragiles. Nous pourrions craindre cette fragilité mais Saint Paul dans sa seconde Lettre aux Corinthiens nous clame : lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort. Et il a raison. Il a raison parce que nous ne pouvons pas aller contre ce qui nous définit mais nous pouvons le transformer en quelque chose de plus grand encore : celui de reconnaître que c'est par l'autre que je deviens. Je me refuse ainsi à entrer dans une spirale de solitude. J'accepte que je ne suis pas assez fort pour tout porter, tout résoudre et que donc, j'ai besoin de trouver autour de moi quelqu'un, au singulier ou au pluriel, qui m'aidera à porter mon propre fardeau. Et voilà que quelque chose de perçu comme fragile au départ devient une force de vie. Plonger dans la relation pour sortir de soi-même et se remettre à marcher et à avancer sur son propre chemin.

Telle est en tout cas l'attitude de la belle-mère de Pierre et de tous ceux et celles qui se tournent vers le Christ pour être guéri. Nous ne sommes pas face à un Dieu Touring Secours que nous appelons lorsque nous en avons besoin. Nous rencontrons un Dieu qui accepte de prendre sur lui une part de nos souffrances en nous invitant à les déposer en lui. De cette manière, il nous accompagne, le temps nécessaire. C'est une des merveilles de notre foi : celle de reconnaître que l'autre peut également être le Tout Autre, Celui qui est là, toujours disponible. Et ce d'autant que lorsque je me pose en Dieu, je me repose en Lui.

S'il en vraiment est ainsi, faisons nôtre et appliquons l'adage du Christ : " boulot-théo-dodo ". Du temps pour l'autre, du temps pour Dieu, du temps pour soi. C'est cela la vie que Dieu nous propose de vivre.

Amen