Une légende raconte que lorsque l'évangéliste Jean était vieux, il était très connu. Malgré son grand âge, il était toujours en tournée et prêchait partout où il passait. Un jour, il arriva dans une ville où les gens l'attendaient. Une grand foule s'était installée sur la place publique et voilà que Jean apparaît porté par quatre personnes. Il pouvait à peine marcher. Il resta assis, regarda la foule qui était silencieuse et désireuse d'entendre les paroles du saint. Il fit un geste de la main puis s'adressa à la foule en ces mots : " aimez-vous les uns les autres ".
Ayant prononcé cette parole, il demanda aux quatre porteurs de le reconduire chez lui. Les gens étaient stupéfaits mais se disant que cela devait être un effet de style puisque Jean était avec eux pour quelques jours. Le lendemain Jean revint sur la place publique aidé par quatre personnes. Il s'assit, fit signe à la foule de se taire et dit : " aimez-vous les uns les autres ". Puis demanda d'être raccompagné chez lui. Les gens commençaient à la trouver saumâtre. Le troisième jour, il refit la même chose. Certains se demandaient s'il était devenu gâteux alors que d'autres s'énervaient. Un des membres de l'assemblée se leva et interpella Jean en lui demandant si son petit jeu allait encore durer longtemps parce qu'il avait du travail au champ. Jean se leva, regarda la foule et leur dit : " pourquoi devrais-je prêcher autre chose que ce commandement de vous aimer les uns les autres puisque vous n'arrivez pas à le vivre ? ". La foule resta muette.
Si Jean était parmi nous ce soir, pourrait-il prêcher autre chose que ces mots ? La question a en tout cas le mérite d'être posée. A la première lecture de cet évangile, nous nous sentons face à une mission impossible à réaliser. Jésus est un rêveur, un utopiste. Comment serait-il possible d'aimer tout le monde alors que certains sont trop différents de nous et que d'autres sont trop semblables à nous et donc nous énervent tout autant. Et Dieu nous demande de les aimer. Il doit avoir un sacré sens de l'humour. Pire encore, non seulement nous devons nous aimer mais en plus il nous signale qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.
Au risque de décevoir notre " ego " de francophone mais ce texte que nous venons d'entendre ne rend pas toutes les nuances du texte original. En grec, il y a quatre mots pour parler d'amour alors qu'en français nous devons nous contenter d'un seul et même verbe. Il y a la tendresse physique, puis l'amour des liens de sang autrement dit l'amour familial, ensuite l'amour qui demande un acte de la volonté et enfin l'amour de sentiment, appelé l'amour d'amitié par certains philosophes. Le Christ nous invite à vivre des deux derniers mentionnés. Lorsqu'il nous demande de nous aimer, il ne s'agit pas d'abord d'un amour né de nos émotions, de la rencontre de deux êtres. Non il s'agit de l'amour qui demande un acte de la volonté, c'est-à-dire de cette prise de conscience que nous avons à nous aimer dans le sens de nous respecter.
Nous aimer, c'est reconnaître l'autre en ce qu'il est autre et lui permettre de devenir davantage encore ce qu'il ou elle est. Cet amour de respect est nécessaire pour que notre terre tourne plus juste. Alors tout à coup, ce qui nous paraissait une utopie devient un projet de vie réalisable dès maintenant. Puissions-nous vivre de cet amour de respect même avec celles et ceux envers qui nous éprouvons moins de sympathie. Par contre, lorsque Jésus nous affirme qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis, nous entrons dans le champ des sentiments, des émotions. Il s'agit cette fois de l'amour qui vient du c½ur. Alors pour ces gens-là, comme le dirait J. Brel, nous sommes prêts à donner notre vie.
Contrairement à ce que nous pourrions croire, cela ne signifie pas mourir pour autrui. Non donner sa vie à l'ami, c'est se dépouiller de soi, se poser soi-même mais en l'être aimé. Voilà ce que dit le texte grec et cela ne peut se vivre que dans la confiance mutuelle, lorsque l'amour d'amitié est au c½ur de la rencontre. En français contemporain, le commandement de Dieu devient alors quelque chose du genre : " respectez-vous les uns les autres et il n'y a pas de plus grand amour que se dépouiller de soi et se poser en l'ami ". Ce ne sont pas de simples mots. Ils résument le sens de notre foi en Dieu et en la vie. C'est au c½ur de ce commandement d'amour de respect et d'amour d'amitié que Dieu se révèle à nous. Nous ne faisons pas seulement église en cette église. Nous sommes église lorsque l'amour est au c½ur de nos actions, nos paroles et nos gestes. C'est dans l'amour que Dieu se découvre. Puissions-nous ne jamais l'oublier.
Amen