Dites, cela fait déjà un petit temps qu'on ne vous voit plus. Tout va bien ? " Vous savez, depuis que notre fille s'est séparée de son mari quelques mois après son mariage ou encore depuis que notre fils aime quelqu'un comme lui, vous comprenez qu'il nous est plus difficile de venir. Nous craignons le regard réprobateur des autres. Nous avons peur d'être condamnés par l'attitude de nos enfants. Voilà pour ce que nous pourrions appeler les maux sociaux, puis il y a aussi ceux qui touchent la santé. Toujours à la même question, la réponse suivante peut surgir : " vous savez, depuis que mon épouse est malade, les rayons, la chimiothérapie. Tout cela est assez lourd et nous sommes parfois un peu découragés, fatigués. De plus, nous n'avons pas spécialement envie d'en parler et d'expliquer à tout le monde. Nous préférons rester plus discrets durant le temps du traitement ".
Ces phrases je ne les ai pas inventées, mais je les ai par contre entendues lorsque je m'étonnais de ne plus voir certaines personnes qui, auparavant, étaient assidues à nos célébrations dominicales. Face à de telles réponses, je reste perplexe. Cela voudrait-il dire que, pour venir partager nos eucharisties, nous devons être bien, en forme ou encore conformes aux exigences sociales et culturelles ? Cela voudrait-il dire que l'échec, la différence, la souffrance n'ont pas de place là où nous nous réunissons pour rencontrer Dieu ? Sommes-nous capables de nous laisser interpeller par ces réponses qui m'ont été données ces derniers mois par quelques uns d'entre nous. Quelle est notre ouverture, quel est notre accueil non pas seulement en tant que personnes mais également en tant qu'assemblée composée de croyantes et croyants ?
L'échec, la différence ou la souffrance sont des réalités auxquelles nous sommes toutes et tous confrontés au moins une fois dans notre vie. Et ce qui est surprenant, c'est que lorsque nous en faisons l'expérience, très souvent nous nous humanisons. Nous prenons conscience que la perfection n'est pas de notre monde. Que nous avançons à tâtons. Nous nous confrontons à l'expérience toute simple de la fragilité de la vie. Puissions-nous ensemble méditer l'évangile de ce jour. Le paralytique a quelque chose à nous dire. Il est fragile et il le sait. C'est pourquoi, il se fait porter par ces quatre personnes qui le conduisent à Dieu.
Mais finalement, qui conduit qui dans cette histoire ? Est-ce le paralytique ou bien les porteurs ? En fait, je crois que ce sont les deux. Par sa fragilité, le paralytique invite quatre personnes à le conduire à Dieu. Elles l'accompagnent dans sa démarche. Elles le conduisent mais lui les conduit également. Tous les cinq sont animés de cette foi qui les fait vivre. Une foi qui leur permet de faire des choses complètement folles comme détruire un toit. Tout simplement parce que la foi nous convie à mettre de la folie dans nos vies. Mais pas n'importe laquelle. Pas une folie qui accepte et tolère n'importe quoi, non une folie qui nous permet de porter un regard d'empathie, de tendresse, en fait un regard baigné d'amour face à celles et ceux qui vivent l'expérience de l'échec, de l'acceptation de la différence ou encore de la souffrance.
Un regard qui ne juge pas et surtout qui ne condamne pas. Un regard qui reconnaît qu'il y a une grande part de mystère dans tout ce que nous vivons. Un regard qui accepte que nous ne pouvons pas tout comprendre et que nous sommes donc dépassés face aux réalités de certaines expériences. Un regard qui admet que les grandes questions restent sans réponse définitive. Animés de cette folie de la foi, non seulement notre regard change mais également nos paroles. Nous quittons le champ de la dureté de nos propos condamnant pour entrer dans des paroles de silence qui accompagne le mystère de la vie. Nous accompagnons l'expérience de l'échec, de la différence et de la souffrance sans chercher à la justifier mais en la portant avec d'autres pour qu'elles soient moins lourdes à vivre pour celles et ceux qui y sont immédiatement confrontés. A cet instant précis se noue en nous l'humain et le divin.
En effet, ce changement d'attitude nous permet de découvrir que ces personnes fragilisées par la vie peuvent nous conduire à Dieu, comme nous pouvons également le faire par notre manière d'être empreinte de douceur. Il y a tant de manières différentes d'aller à Dieu, tant de choses peuvent nous y conduire : un superbe feu de bois, un arrêt devant l'océan, une étendue de plaines et de prairies, un temps de solitude, un espace vide, certains livres et je ne puis m'empêcher de vous inviter à découvrir le dernier roman d'Eric-Emmanuel Schmitt : Oscar et la dame rose. Il y a donc toutes ces choses puis il y a également les autres, ceux qui sont vivants avec nous et aussi ceux qui sont vivants par-delà la vie éternelle. Ces derniers peuvent également nous conduire à Dieu.
Que dans le silence de nos c½urs, nous puissions chacune et chacun rendre grâce pour tous ceux et celles qui un jour nous ont conduit auprès de Dieu et que nous nous ouvrions plus encore aux personnes qui vivent l'expérience de l'échec, de la différence et de la souffrance. Dieu s'engouffre également dans ces lézardes-là. Ne l'oublions pas et vivons en conséquence dans cette folie de la foi.
Amen