Dieu a foi en nous
Nous sommes toujours dans le temps pascal et bientôt nous fêterons l'Ascension, c'est-à-dire le départ du Christ ressuscité, ou du moins son effacement.
C'est un effacement physique, l'Evangile nous prépare à vivre sans Jésus physiquement présent, à vivre comme des grands. On peut regretter que Jésus nous ait délégué les commandes. Nous ne sommes pas à la hauteur, pas fiables, pas courageux. Nous ne le faisons pas aussi bien que lui, surtout nous faisons parfois très mal. Jésus le savait bien : Pierre a renié, Paul a persécuté. Mais notre Dieu est un Dieu qui partage, qui délègue, qui ne veut pas exercer un pouvoir despotique. Il aime renverser les situations, se mettre en position de service, céder l'initiative et le pouvoir. Il ne se défend pas, il se remet entre nos mains. Cette attitude n'est pas anecdotique, elle révèle son être profond qui est de vouloir l'amitié, ce qui suppose égalité, réciprocité et vulnérabilité. Dans cet effacement, se révèle la discrétion de Dieu pour nous. Comme dit le poète : « Dieu crée l'homme comme l'océan crée les continents, en s'effaçant ».
L'effacement personnel de Jésus nous détache de son modèle pour nous inviter à trouver notre voie personnelle, inévitablement unique, originale. Il ne s'agit pas de l'imiter au sens de le singer, de se laisser pousser les cheveux et la barbe, de marcher pieds nus, de porter une tunique... Il ne s'agit pas non plus de répéter ses paroles comme un enregistrement numérique ou un perroquet. Il s'agit d'être ses disciples en vivant un autre type de présence avec lui, dans son Esprit en portant du fruit. « Il vous est bon que je m'en aille, dit Jésus, sinon l'Esprit Saint ne viendra pas sur vous » Jn 16,7. Cet effacement de Jésus nous met en première ligne. Nous apprenons à vivre ce qu'il a vécu, en rendant témoignage avec des mots à nous. Soyez capables, nous disait saint Pierre dans l'épître, de « rendre compte de l'Espérance qui est en vous ! » Pour prendre une comparaison automobile, Jésus nous cède le volant ! « Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés... comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie ».
L'effacement de Jésus nous permet de nous mettre à sa place et de découvrir qui il est pour nous. « Qui vous écoute m'écoute, qui vous accueille m'accueille et accueille celui qui m'a envoyé... » Il y a là une présence qui n'est plus physique mais qui est très forte, intériorisée, avec une sorte d'inhabitation réciproque : lui, c'est nous et nous, c'est lui. Jésus dira à saint Paul qui persécutait les chrétiens : « pourquoi me persécutes-tu ? » Jésus s'identifie donc aux chrétiens, il fait corps avec nous.
Ce qui m'étonne beaucoup, chez Jésus, c'est qu'il ne se présente pas comme un modèle indépassable. Nous répétons sans cesse que Jésus est le Fils de Dieu et nous pensons qu'il est parfait et donc qu'il est le sommet de tout. Mais il ne se présente pas comme un couvercle, comme une frontière, on peut aller plus loin, on peut faire plus encore. Il est la source créatrice. Il nous encourage, nous stimule, nous lance dans la vie, nous envoie et il nous donne les moyens.
Il nous communique son amour, sa confiance, il se remet entre nos mains. Il nous envoie en mission. Il nous donne son Esprit. Il nous invite à lui demander ce dont nous aurions besoin, et, ainsi, il nous invite à faire encore plus que lui, encore mieux, encore plus fort que lui. « Amen je vous le dis, celui qui croit en moi accomplira les mêmes ½uvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes, puisque je pars vers le Père ».
Jésus n'est pas compétitif, il n'a rien de commun avec ces personnes qui vous mettent des limites, qui vous mettent des bâtons dans les roues pour toujours vous contrôler et vous empêcher de les dépasser. Il n'est pas jaloux, tout au contraire, il se réjouit de nos succès, il nous encourage à aller de l'avant, à voir grand, à faire des projets d'envergure, à ne pas rester timorés.
Il n'a pas tout fait et il ne veut pas tout faire « tout seul ». Il veut nous associer. Il veut avoir besoin de nous. C'est là une façon d'aimer qui n'a rien à voir avec le paternalisme ni avec l'assistanat. Il a guéri quelques malades mais il n'a pas fermé les hôpitaux. Il a nourri quelques milliers de personnes mais il n'a pas importé la pomme de terre ni introduit les hybrides de maïs. Il a réintégré socialement quelques exclus mais il n'a pas réglé tous les problèmes de racisme et d'exclusion. Tout reste à faire pratiquement et il est avec nous, par son Esprit, son Souffle, son Inspiration. Il nous fait confiance, il a foi en nous, et nous pouvons à notre tour faire confiance aux autres, autour de nous, déléguer, nous aussi, nous soucier des apprentis. Nous pouvons progressivement nous effacer, pour encourager les autres à exister différemment.