6e dimanche de Pâques, année C

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 2003-2004
 Mes brebis entendent ma voix et me suivent » disait Jésus. Suivre Jésus ! Placé devant Jésus, il devait être impossible, pour ses contemporains, de rester neutres. Devant lui, on se laissait gagner par un espoir fou car c'était surtout sa façon d'aimer qui frappait. Souvent nous croyons que nous sommes trop humains, trop attachés à ce qui nous entoure pour être vraiment chrétiens et pour qu'une vraie vie spirituelle soit possible. Mais, justement, nous devrions reconnaître en Jésus quelqu'un qui savait aimer humainement bien et bien mieux que nous. Devant Jésus, nous aurions su que c'est l'amour vrai qui nous manque : celui qui ne juge pas et sait attendre, celui qui respecte et ne méprise jamais, celui qui accueille et sait partager ; l'amour au quotidien, dans chaque instant, dans toutes les petites choses de la vie.

Au fond, devant Jésus, tout est simple et terrible à la fois. Suivre Jésus, c'est partager ou non ses sympathies. C'est se décider « devant lui et comme lui » par rapport à toutes choses dans des situations purement humaines. Est-ce difficile d'être ému devant un ami défunt ou un jeune homme mort , d'avoir pitié d'une mère en larmes ou d'une femme bafouée, fût-elle pécheresse , d'être émerveillé de la discrète offrande d'une pauvre veuve ou de s'attendrir devant un enfant ? Comme Jésus, est-il difficile d'admirer la vigne et d'aimer le vin qui en jaillit , de goûter la fraîcheur du vent ou le silence de la mer ? Est-il difficile de céder à une amitié vraie comme Jésus vis à vis de Lazare ou de ses douze , de vivre, comme lui, une belle affection avec Marthe et Marie, de connaître la tristesse devant le péché ou l'angoisse devant la mort pressentie ? Oui, tout cela est simple et pourtant terrible et merveilleux à la fois.

Nous croyons suivre Jésus dans des affections purement humaines mais voilà que, vivant comme lui, nous nous rendons compte que par là même, nous nous décidons vis à vis de choses divines ! En vivant toutes ces choses très simples, comme lui, c'est à dire animés par la grâce, nous communions en fait, et en même temps, à des réalités divines. En réalité, quand Dieu s'est fait homme, il a choisi toutes les valeurs humaines dont il allait s'éprendre. Il a renoncé à tout ce qui pouvait nous nuire : le pouvoir, la richesse, la suffisance. Il n'a gardé de Dieu, en s'incarnant, que l'amour pour épouser la faiblesse de notre condition humaine et nous inviter, à sa suite, à la bonté, à l'humilité et au pardon. Lorsque nous suivons Jésus en vivant toutes les proximités familières, nous vivons toutes choses dans la grâce et nous nous unissons, par elles, à Dieu.

« Mes brebis entendent ma voix » ! Entendre la voix de Dieu en ce monde ? N'est-ce pas précisément le silence de Dieu qui nous pose problème et rend notre foi ardue ? Devant tant de malheurs, de massacres perpétrés sur le globe et d'errances de l'humanité, pourquoi cette apparente absence d'un Dieu qui serait impassible, impavide et impuissant ? Nous vivons une sorte de fatalisme d'un monde sans Dieu apparent.

D'un côté, les enfants des victimes de l'holocauste crachent leur mépris à la figure d'autres enfants palestiniens. Les enfants des héros de la victoire de la résistance serbe contre les nazis massacrent leurs voisins de toujours et entassent charniers contre charniers.. D'un autre côté, sur tout le continent africain, les enfants meurent dans des guérillas fratricides qui enrichissent les marchands d'armes. Les talibans pulvérisent à la dynamite l'art sacré de croyances ancestrales et traitent de façon ignominieuse les femmes... D'un côté, des sommes colossales sont dépensées pour des programmes sur le clonage tandis que des milliers d'enfants crèvent de faim ou sont exploités et violés. D'un autre, si nous envoyons Ariane dans l'espace, c'est parce que pendant la 2ème. guerre mondiale, des milliers de prisonniers creusaient les usines souterraines des V1 et V2...

Et il en sera toujours ainsi ! Peut-être même serons nous plus loin encore demain ! Et le prix à payer sera d'autres victimes, innocents et martyrs. Comme s'il fallait toujours que Caïn tue Abel, qu'Abraham veuille sacrifier son fils ! Mais, le croyant qui suit Jésus ne cède pas à une sorte de fatalisme de l'Histoire et du temps, au fanatisme des méchants. Abraham n'a pas tué Isaac. Le silence de Dieu s'est rompu à travers l'amour d'Abraham pour son fils, amour qui a purifié sa foi. C'est cela qu'il ne faut pas oublier car aujourd'hui encore, c'est à travers l'amour de l'homme pour l'homme que Dieu parle.

Les juifs contemporains du rabbi Jésus attendaient de lui l'écrasement de leurs ennemis par des miracles de toute puissance. Jésus a refusé ces signes. Il a déplu et déçu tout le monde, sa parenté, son village, son peuple, ses partisans, certains disciples très proches et Judas, définitivement. Nous aussi, parfois, Dieu nous déçoit. Nous sommes fatigués de son silence, de sa patience et de sa tolérance. De nos jours encore, c'est en restant en butte aux reproches et aux outrages que Dieu continue de témoigner de sa présence et de sa puissance invisible. Et c'est cette invisibilité reprochée qui peut le rendre manifeste. Quand n'importe où, le plus petit geste d'amour vrai s'ébauche alors éclate le miracle de la présence de Dieu parmi nous. A travers le respect de l'autre, sa libération, sa promotion, à travers la volonté de le vouloir lui-même et non conforme à notre propre volonté s'expriment l'amour et la présence de Dieu. Les autres sont alors mis entre nos mains, « livrés » à nos négligences, nos distractions et nos refus ou, au contraire, à nos responsabilités et à nos engagements.

Le voilà tel qu'il aime apparaître à nouveau au monde ce Dieu invisible, dans un regard d'amour, de pardon et de partage de l'homme pour l'homme. Le voilà présent dans la compassion à la souffrance, la main tendue à la solitude, la proximité d'une présence silencieuse, la chaleur d'une joie partagée. Oui, « entendre la voix de Jésus et le suivre » est tout le sens de notre foi : être capable de croire à tout ce que fait Dieu en silence et en filigrane par nos paroles et nos gestes de bonté et de soutien. La foi c'est croire que le plus humble geste d'amour fait faillite à tous les déterminismes mortifères et met en échec tous les fatalismes infernaux.