6e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

L'EVANGILE EST PLUS QU'UN CODE DE LOIS

Jésus a solennellement ouvert son enseignement par le portique des 8 béatitudes : voici les chemins du véritable  bonheur que je propose à tous. Or Dieu avait donné son programme de vie depuis bien longtemps avec la Loi, le Décalogue. Quel est donc le rapport entre ces deux enseignements ? Nous voyons des incroyants pratiquer une haute morale : que demande en outre la foi chrétienne ?
La 2ème partie du Sermon sur la montagne répond (5, 17 à 48). Le texte est long et la liturgie propose un découpage : voici un autre un peu différent.

PRINCIPE DE BASE : NON SUPPRIMER LA LOI MAIS L'ACCOMPLIR.

« Ne pensez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas une lettre, pas un seul petit trait ne disparaîtra de la Loi jusqu'à ce que tout se réalise. (..............)
Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux.
L'Evangile ne supprime ni n'édulcore ni ne remplace la Loi (qui est éternelle) mais il la « radicalise » c.à.d. il en pousse les exigences jusqu'à la racine. Jésus va expliquer ce qu'est cet « accomplissement » par 5 exemples et nous en voyons 3 aujourd'hui. Pour entrer maintenant dans le Royaume de Dieu tel que Jésus l'inaugure, il est indispensable de dépasser la conception des pharisiens qui s'estimaient « justes », en règle, parce qu'ils avaient bien pratiqué les moindres préceptes.
Dans le Royaume de l'amour, il est impossible de se mettre « en règle ». La Loi est un texte : Jésus est une personne. L'évangile n'est pas qu'un code à suivre : il est une relation entre personnes.

1er EXEMPLE :   IL Y A DES PAROLES QUI TUENT

Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : 'Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu'un commet un meurtre, il en répondra au tribunal'.
Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère en répondra au tribunal. Si quelqu'un insulte son frère, il en répondra au grand conseil. Si quelqu'un maudit son frère, il sera passible de la géhenne de feu.
Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. ( ...................)
Il est bien insuffisant de dire : « Je n'ai pas tué » : l'atteinte à la vie d'autrui commence déjà lorsque la colère éclate, lorsque l'injure crache, lorsque la médisance et la calomnie cherchent à écraser l'autre. Dès que s'allume le foyer d'animosité, il faut illico chercher à l'éteindre. C'est pour n'avoir pas su se contrôler dès le début que certains en viennent au meurtre.
L'insulte méchante est d'une telle gravité qu'il serait vain de se rendre au culte, d'offrir un sacrifice au Seigneur : le mur que l'on a élevé entre soi et le frère se dresse de la même manière devant Dieu. Il arrive que l'on aille prier avec un c½ur qui saigne du coup reçu d'autrui ; mais si l'on a offensé l'autre, on ne peut prier et célébrer la liturgie que si l'on a au préalable cherché à se réconcilier avec lui. Immense exigence d'humilité des deux côtés : d'une part faire la démarche, de l'autre accepter la demande de pardon. C'est parfois la seconde qui est la plus difficile.

2ème EXEMPLE : LA FIDELITE CONJUGALE

Vous avez appris qu'il a été dit : 'Tu ne commettras pas d'adultère'.
Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l'adultère avec elle dans son c½ur. Si ton ½il droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi : car c'est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi : car c'est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne s'en aille pas dans la géhenne.
Le décalogue interdisait l'adultère (Exode 20, 14). A nouveau Jésus précise que la malice de l'acte défendu s'enracine dans le c½ur : l'adultère commence bien avant le lit. Si le  désir n'est pas combattu dès sa première flamme, la tentation sera trop puissante. L'enjeu est très grave puisqu'il vaudrait mieux t'amputer, enseigne Jésus : c'est pourquoi il faut « trancher dans le vif » dès le début.

Il a été dit encore : Si quelqu'un renvoie sa femme, qu'il lui donne un acte de répudiation.
Eh bien moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d'union illégitime, la pousse à l'adultère ; et si quelqu'un épouse une femme renvoyée, il est adultère.
Ce célèbre passage (qui semble une addition postérieure car il dérange la construction du texte) dénonce d'abord la conception de la société patriarcale où l'homme est seul à pouvoir imposer le divorce. Ensuite l'interprétation en est difficile : que signifie « union illégitime » ? Chrétiens orthodoxes et chrétiens réformés l'appliquent autrement que les catholiques. Le douloureux problème des divorcés remariés continue à susciter des débats houleux, ainsi ces derniers temps en Allemagne.
En octobre, Mgr Zollitsch (président de la conférence des évêques allemands) a publié des Orientations pastorales où il propose la possibilité qu'une personne divorcée-remariée, après un processus de discussion avec un prêtre, puisse prendre la décision en conscience de recevoir tous les sacrements.  Peu après, Mgr G. Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dans une lettre, lui a demandé de retirer et réviser ce document car « sur deux points il ne coïncide pas avec la doctrine de l'Eglise ». Le Magistère de l'Eglise enseigne en effet que « les divorcés-remariés font eux-mêmes obstacle à leur admission à l'Eucharistie dans la mesure où leur état de vie est contraire à ce lien d'amour entre le Christ et l'Eglise ». Là-dessus Mgr R. Marx, archevêque de Münich, a pris ses distances : «  Le préfet de la Congrégation de la foi ne peut pas mettre un terme à la discussion ».
Mgr Zollitsch se justifie : « De plus en plus de gens échouent dans leur mariage et s'engagent dans une nouvelle union...Comment accompagner ces personnes qui font pleinement partie de l'Eglise (Benoît XVI) ?...Si la question se fait sentir avec une telle acuité au sein du peuple de Dieu, nous devons voir comment actualiser notre réponse...Nous devons nous demander s'il n'existe pas de nouvelles solutions » (journal La Croix 2 déc.).
Quant au pape François, il dit : « L'exclusion de la communion pour les divorcés qui vivent une seconde union n'est pas une sanction ». Et il annonce que le thème du mariage sera débattu au consistoire en ce février, puis au Synode extraordinaire en octobre 2014, puis encore au Synode ordinaire en 2015.

3ème EXEMPLE : NE PAS FAIRE DE SERMENTS

Vous avez encore appris qu'il a été dit aux anciens : Tu ne feras pas de faux serments, mais tu t'acquitteras de tes serments envers le Seigneur.
Eh bien moi, je vous dis de ne faire aucun serment, ni par le ciel, car c'est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Cité du grand Roi. Et tu ne jureras pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Quand vous dites 'oui', que ce soit un 'oui', quand vous dites 'non', que ce soit un 'non'. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais.
La Loi interdisait de faire des serments mensongers et elle obligeait à réaliser ce que l'on avait juré  de faire ; en outre la casuistique pharisienne avait introduit un ordre de gravité plus ou moins grande selon les réalités que l'on prenait à témoin. Jésus balaie tout ce fatras et énonce la règle définitive : Ne faites jamais de serments, soyez vrais en parole. Que chacun puisse avoir une confiance totale dans l'autre. (N.B. : Il est évident que devant le tribunal il faut obéir à la Loi).
**********
Certes cet enseignement résonne avec une exigence terrible qui interdit de s'estimer en règle, qui oblige à l'humilité et à la confiance dans la miséricorde de Dieu, bien plus grande que nos fautes.
Mais surtout comment ne pas être stupéfié par ce charpentier de Nazareth, ce fidèle issu du petit peuple et qui, sans aucun titre, a eu l'audace folle de prononcer de telles paroles : « ON VOUS A DIT...MOI JE VOUS DIS ». Qui donc est-il pour oser se positionner de la sorte ?
Tout l'évangile tentera de donner la seule réponse possible : Jésus ne profane pas la Loi et il est plus qu'un prophète. Il est le Fils.