Jn 17, 11-19
Le premier août de cette année, cela fera juste dix ans. Un triste anniversaire plein d'espérance et pourtant difficile à oublier. Il venait de rentrer d'une longue journée où il avait rencontré pas mal de gens. Il était fatigué et heureux de rentrer à la maison. Son chauffeur parqua la voiture dans le garage. Ils étaient ensemble lorsqu'il poussa la porte d'entrée de sa maison. A ce moment, la bombe explosa et tous deux furent déchiquetés. Lui, il avait 19 ans et s'appelait Mohammed, un bon musulman ouvert et chauffeur de métier. L'autre avait 56 ans et était évêque d'Oran. Il était également frère dominicain et jusqu'à l'instant de ma propre mort, je lui serai toujours reconnaissant d'avoir eu la fraternité de m'ordonner prêtre. Je suis heureux mais surtout fier de me dire que par l'ordination presbytérale, je peux m'inscrire dans la lignée de ses fils dans la foi. L'homme dont je vous parle, celui pour qui j'ai tant d'admiration et qui a accepté de laisser couler son sang pour une cause noble et juste s'appelle Pierre Claverie. Il fait partie de ces quelques personnes que nous rencontrons dans nos vies et dont nous regrettons toujours la brièveté de l'instant passé ensemble. Il y a juste seize ans, il était parmi nous à Rixensart pour nous parler de son combat pour la vérité, de son refus d'accepter l'escalade de la violence. Pierre était un frère non seulement dominicain mais un véritable frère en Christ. Il était animé d'une telle foi et d'une telle confiance en l'évangile que rien n'aurait pu l'arrêter. N'ayez pas d'inquiétude, je ne suis pas entrain de le canoniser devant vous. Il n'en a pas besoin et celles et ceux qui ont eu la chance de le rencontrer refusent d'entrer dans une escalade de la sanctification car cela irait tellement à l'encontre de ce qu'il était. Pierre était un révolutionnaire non pas dans le sens qu'il voulait tout changer, qu'il ne supportait pas l'église, qu'il aurait été prêt à dynamiter notre institution ecclésiale. Loin s'en faut. Pierre était un révolutionnaire de Dieu, c'est-à-dire un homme, un frère qui a choisi de prendre les armes de la quête de la vérité pour s'opposer au monde d'injustice et de violence dans lequel il baignait depuis des années. Telle était sa vocation, tel a été le sens donné à sa mort de martyre comme tous les autres qui ont donné leur vie pour l'église d'Algérie. Nous pouvons aisément nous émerveiller d'une vie donnée en plénitude pour l'évangile. Nous pouvons commencer à nous battre pour sa cause de canonisation mais nous passerions à côté de l'essentiel de ce qu' a été le témoignage de sa pèlerinage terrestre. Il croyait en la quête incessante de la vérité. Il l'avait fait sienne jusqu'à y donner sa vie. Sans pour autant entrer dans une dynamique aussi radicale, l'évangile de ce jour nous invite à faire un chemin parallèle. Dans la foi en Jésus Christ, nous ne sommes plus complètement du monde duquel nous sommes issus. Toutes et tous nous sommes des révolutionnaires mais des révolutionnaires de Dieu. Nous n'avons que deux types d'armes : la quête de la vérité et la douceur de l'amour. Toutes les autres sont des pièces factices, des chemins d'égarement vers le succès facile, le pouvoir d'écraser l'autre, la quête incessante du toujours plus, la violence induite par le temps laissé au temps alors que notre société n'a plus de temps au temps. Etre disciple, c'est accepter de refuser les fausses divinités de notre société ; c'est reconnaître que la vie véritable ne se vit pas dans l'urgence de l'instant mais plutôt dans l'instant laissé au temps pour que nous ayons suffisamment de temps justement pour retrouver l'essentiel, l'existentiel. Notre société, de par le biais de différents médias, nous propose une fausse facilité, un confort de vie basé sur le mensonge et la négation de ce qui fait la spécificité de notre humanité. Notre foi en Dieu nous presse à ne pas entrer dans une telle spirale qui conduit à l'anéantissement de ce que nous sommes en vérité. Une fois encore, alors que le Christ s'en est retourné au Père et que nous attendons la venue de l'Esprit Saint sur chacune et chacun de nous à l'occasion de la Pentecôte, nous sommes priés de nous détourner des fausses valeurs de ce monde auquel nous appartenons sans pour autant nous identifier à celui-ci car nous avons acquis la conviction profonde que le Christ nous propose un chemin de vérité qui s'enracine dans la lumière de Dieu, la seule qui puisse éclairer nos vies pour nous conduire sur le chemin de nos destinées. Amen.