Il m'arrive parfois d'entendre la question suivante posée par certaines personnes vraisemblablement passionnée de statistiques. Je me permets de vous la livrer en ce jour de la fête de l'Ascension : « dites-nous, Père, quel est votre taux de divorce parmi les mariages que vous avez célébrés à ce jour ? ». Je m'étonne toujours de ce type d'interpellation. En effet, en tant que célébrant, je suis attentif à ce que le couple de fiancés prenne le temps de se préparer. Je les rencontre et je les accompagne. Je me permets alors de rappeler à ces personnes qui me questionnent sur « mon taux de divorce parmi les mariages célébrés » qu'en temps que prêtre, je ne suis pas acteur du sacrement de mariage que c'est un sacrement que les époux se confèrent. Mon rôle s'arrête donc bien le jour de la célébration. Je reste bien évidemment disponible après s'ils souhaitent. Mais en aucune manière, je ne me suis engagé à téléphoner tous les mois à tous les couples dont j'ai accompagné la célébration pour voir si tout se passe bien entre eux. Je me refuse d'être la caricature de la belle-mère envahissante qui s'autorise à interférer dans des matières qui ne la regardent pas. Il faut dire aussi qu'économiquement ce serait lourd à gérer en temps et en argent car cela me ferait plus de six cent coups de téléphone à donner par mois. A la fameuse question, je réponds donc que je n'en sais rien et que ce n'est pas « mon taux » mais la réalité de ce que les couples vivent. C'était leur décision de se marier, c'est encore et toujours la leur de chercher à poursuivre l'aventure ensemble lorsque des difficultés surgissent. Telle est leur liberté et ils n'ont certainement pas besoin d'une belle-mère de plus. Sur base de ce constat, je me demande si la fête que nous célébrons aujourd'hui n'est pas également un peu de cet ordre-là. Dieu le Fils semble ne pas souhaiter devenir une sorte de belle-mère envahissante et insupportable qui interviendrait à tort et à travers dans le cours de nos existences. En agissant ainsi, il reproduit l'attitude de son propre Père qui, après avoir créé l'être humain, a également choisi de se retirer, de se reposer. Il achève sa Création en nous ayant donné un mandat : celui de conduire la Création entière et ses créatures à l'accomplissement. Un peu comme si nous étions des êtres inachevés dans un monde tout aussi inachevé qui sommes devenus, par le mandat reçu, lieutenants de Dieu sur terre, c'est-à-dire tenant lieu de Dieu sur terre (A. Gesché). Lourde responsabilité puisque Dieu se révèle à nous par nous. Mais également, quel cadeau de nous offrir ainsi la liberté de nous réaliser. Quelques millénaires plus tard, le Christ s'incarne pour nous proposer un chemin de vérité de vie. Tout est là, en substance, dans les pages de nos évangiles. Si nous voulons mettre nos pas dans les traces du Christ, il nous suffit de vivre de ce qu'il a habité lors de son passage parmi nous. En bon Fils unique, il reproduit l'attitude du Père et choisit à son tour, après avoir convaincu ses disciples de l'événement de la Résurrection, de quitter ses proches pour les laisser plus libres encore d'accomplir leur propre destinée. En agissant de la sorte, il refuse lui aussi d'être cette présence divine envahissante vers laquelle nous nous tournerions systématiquement dès qu'un problème surgirait. Il ne veut pas être catalogué de « belle-mère infernale ». Dieu tient trop, en effet, à l'exercice de notre liberté mais également il nous donne demande de devenir des êtres pleinement responsables face à notre propre vie. Il est alors clair que le prix de la liberté peut nous sembler parfois un lourd tribut à payer surtout lorsque nous sommes confrontés à l'insupportable de l'injustice de la maladie ou de la mort qui arrive souvent trop tôt. Nous avons le sentiment que le cadre à partir duquel notre liberté peut s'exercer diminue fortement et nous pouvons être saisi d'un vertige d'un sentiment d'absence totale de liberté. Toutefois, le Fils ne nous laisse pas seuls, en désarroi. Il nous promet qu'à l'événement de la Pentecôte, il nous enverra « ce que mon Père a promis », c'est-à-dire l'Esprit Saint qui nous accompagnera sur le chemin de vérité de nos vies. Avec l'Esprit de Dieu en notre monde, il ne s'agit plus de cette « belle-mère insupportable » mais plutôt d'une « belle-maman » attentive et bienveillante qui se révèle à nous, lorsque nous choisissons de nous laisser guider par Lui, dans la manière dont tous ceux et celles qui se font proches de nous, nous accompagnent dans la traversée de l'épreuve. Le Fils, comme le Père, s'en est allé mais nous vivons avec la promesse que nous ne sommes plus jamais seuls. L'Esprit de Dieu éclaire nos routes intérieures. Il est en nous et agit par chacune et chacun de nous. Puissions-nous alors rendre grâce à Dieu de nous offrir une telle liberté et une telle responsabilité pour sa Création et ses créatures. Bonne fête de l'Ascension et bonne fête à toutes les « belles-mamans » attentives et bienveillantes qui par leur être et leurs actes rendent Dieu plus présent en notre monde.
Amen.