Les lectures de cette fête de l'Assomption nous donne deux images de Marie qui semblent bien éloignées l'une de l'autre.
L'évangile, d'une part, nous présente une future jeune maman surprise sinon effrayée de ce qui lui arrive et qui cherche un soutien auprès d'une parente, parente aussi par le destin. Ces deux femmes connaissent en effet une grossesse contre-nature, l'une par la vieillesse, l'autre par la virginité. Au lieu de vouloir gommer cet élément contre-nature au nom de lois biologiques qui ne font pas l'objet de l'évangile, il faut sans doute au contraire y voir la volonté expresse d'inviter à une réflexion sur la « sur-nature ». Ces deux femmes toutes simples, parce que toutes simples, ont une claire conscience, immédiate, que ce qui leur arrive a quelque chose de sur-naturel. Elles l'expriment sous forme de prière. Elisabeth s'exclame : « Tu es bénie entre toutes les femmes et le fruit de tes entrailles est béni ». Marie, à son tour, entonne cette admirable prière du Magnificat qui témoigne de la spiritualité des anawim, ces « pauvres en Dieu ».
Les scribes et les pharisiens, possédant les Ecritures par leurs connaissances et par leurs pratiques scrupuleuses, croyaient posséder Dieu du fait même. Dieu n'avait donc plus besoin de naître, ni dans le monde, ni dans leur monde. Les « pauvres en Dieu » n'avaient pas ces certitudes. On leur avait dit que Dieu était présent dans la royauté davidique mais, manifestement, Dieu n'était pas présent dans ce pouvoir terrestre. Les rois d'Israël ne s'étaient pas mieux tenus que les autres. Ils avaient joué aux puissants ; ils avaient été attirés par les parures et avaient conduit le peuple au désastre. On leur avait dit, après l'Exil, que Dieu était dans le respect scrupuleux d'une multiplicité de commandements et de rituels édictés par les prêtres. Mais Dieu n'était manifestement pas dans ces prescriptions sclérosantes. Alors les anawim attendaient, espéraient, quelque chose d'autre. Il n'y a que dans ces conditions-là, dans l'humble confiance, dans l'attente patiente mais soutenue, dans l'espérance, tout ceci allant de pair avec une inversion des codes sociaux : ce sont les humbles qui sont élevés, les riches qui sont renvoyés les mains vides, cela étant encore confirmé par une inversion des codes biologiques : ce sont une vieille femme stérile et une jeune vierge qui connaîtront une fécondité hors normes. Il n'y a que dans ces conditions-là que Dieu pouvait renaître au monde.
La lecture de l'Apocalypse nous présente, presqu'à l'inverse, une image de grandeur et de majesté : « un signe grandiose dans le ciel, une Femme, ayant le soleil pour manteau et la lune sous les pieds... ». Dans cette vision post-pascale qu'est le livre de l'Apocalypse, l'humble petite galiléenne, parce qu'elle a porté le Christ en sa chair, connaît une transfiguration par avance, sa proximité par les douleurs de l'enfantement revenant à Marie en proximité dans la gloire du Christ ressuscité. Nous avons compris que nous pouvons nous aussi connaître cette proximité, cette assomption, dans la gloire du Christ dans la mesure où nous le portons en nous et l'enfantons autour de nous. C'est ce qu'expliquait l'épître aux Corinthiens. Mais cette gloire que nous partageons ne doit pas nous faire tourner la tête, fut ce dans les étoiles. Car il y a toujours un dragon quelque part et non point seulement pour un combat mythique mais pour un combat bien réel. Les sept têtes et les dix cornes visaient des personnes précises de l'époque des persécutions de Domitien en fin du 1° siècle. Et ce genre de monstre se reproduit à chaque époque. Pourrons-nous dire, avec St Paul, que nous aurons combattu le bon combat ?
Cette femme de l'Apocalypse, c'est le Peuple de Dieu ou, plus précisément, le « petit reste fidèle des pauvres en Dieu » dont Marie est le modèle. Puissions-nous, en ce jour de l'Assomption de Marie qui ne saurait rien perdre de sa proximité avec Dieu mais qui n'a rien perdu non plus de sa proximité avec nous, puissions-nous nous écrier avec Elisabeth : « Quel bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu'à moi ! ».