Aujourd'hui, nous célébrons le baptême du Seigneur dans le Jourdain.
Je m'imagine les rives du Jourdain, plein de boue. Et tu dois passer par là pour te faire baptiser dans la rivière et d'en sortir. Impossible donc de rester pur après ton baptême. Quel signe prophétique qui nous libère de tant d'illusions. Impossible de ne pas te compromettre avec ce monde. Tu es comme tout le monde. Même Jésus, celui qui était la pureté en personne, a voulu être comme tout le monde. La liturgie dit que par sa descente dans les eaux, il a rincé le fleuve. Par sa descente dans notre humanité, il a guéri notre humanité, il l'a assumé et l'a porté de l'intérieur.
La descente nous apprend tellement de choses. La première lecture en parle. C'est un des chants du Serviteur de Yahvé. Le texte dit : « Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton. » Il n'est pas comme certains prédicateurs en tiers-monde ou en Amérique qui prêchent le succès en criant. Il prêchera sans aucune agressivité. Il n'a pas besoin d'élever le ton, parce qu'il ne cherche pas le conflit ; pas besoin de s'imposer, il est la vérité en personne, et la vérité convainc par la contemplation de cette vérité, pas par la persuasion, encore moins par la contrainte. Le texte continue : « On n'entendra pas sa voix sur la place publique : » Il ne jouera pas aux médias. Ou bien : la voix des vrais prophètes n'est jamais entendu dans le forum publique. Ils ne savent pas comment manipuler la masse. Ils n'ont pas de style, ou bien : leur style est si différent. Ils font toujours référence à toi-même, de façon déconcertante certes, mais sans s'imposer. Ils te laissent cette terrible liberté qui te confronte avec une certaine solitude. C'est plus confortable d'oublier cette voix prophétique, qui parfois trouve en toi-même une résonnance qui te gêne. « Il n'écrasera pas le roseau froissé, il n'éteindra pas la mèche qui faiblit. » Pour beaucoup de gens, dire la vérité est un acte de violence. Ou bien parce que certains « prophètes » aiment choquer, ou bien parce que beaucoup de gens se sentent contraints par cette vérité. Ils n'osent pas dire non, mais ils ne veulent pas dire oui non plus. Beaucoup de gens pensent que la vérité ne peut pas aller de pair avec l'amour. C'est parce qu'ils ne comprennent pas que la vérité et un service, et qu'un vrai prophète ne peut que vouloir servir l'humanité. Donc il parle toujours avec amour, et s'il est un vrai prophète, avec un scrupuleux respect de la liberté d'autrui. Un vrai prophète, c'est celui ou celle qui a fait la descente vers le fond de sa vie. Il a rencontré ses faiblesses et ses résistances. Il sait, par expérience, ce que les hommes doivent vivre. La tentation ici, c'est l'orgueil, de se placer au-dessus des autre, en analysant le problème des autres. Un vrai prophète est humble, car il sait que sans l'aide de Dieu, il ne peut pas changer sa vie. Il se sent parfois un pauvre diable. Mais »lui ne faiblira pas, lui ne sera pas écrasé » : la descente vers le fond de l'âme, avec toutes les contradictions intérieures qu'on peut rencontrer, donne toujours une force, car tu y rencontres Dieu. C'est Jésus lui-même qui a faite cette descente dans notre humanité, pas en cosmonaute curieux d'apprendre, mais comme partie prenante, qui lui aussi sans succomber au péché comme l'Écriture nous enseigne, a sali ses mains et ses pieds à la boue de notre histoire, il s'est risqué son c½ur à notre humanité, il a perdu sa vie à nous. Les eaux de la mort l'ont submergé. Mais il est entré là-dedans pour partager notre vie et nous donner la vie, là où la mort règne. Son baptême dans notre vie et notre mort nous régénère tous. Jésus nous apprend un nouveau style d'humanité : celui d'un Serviteur de Yahvé, qui trouve sa force au fond de son c½ur et qui a assumé l'humanité entièrement, sans perdre son identité : celui de Fils bien-aimé du Père.
Patrick Lens o.p.