J'ai lu ce week-end un article d'un quotidien belge intitulé " Mais la mort a-t-elle encore un sens ? ". Cet article était signée par la vice -présidente de la Société française de Thanatologie. Société de thanatologie, quelle surprise ! On connaît pas mal de sociétés savantes, mais je n'en connaissais pas qui s'intéressaient à quelque chose d'aussi bizarre et d'aussi macabre : la mort ! Cette société a-t-elle été fondée pour nous apprendre ce qui n'est pas nouveau et semble bien connu depuis fort longtemps : nous sommes mortels ; la mort est la fin inéluctable de toute vie ?
Mais peut-être que le but de cette Société est de nous réapprendre que, si la mort est inéluctable, il faut donc prendre position par rapport à elle. La mort, parce qu'elle pose une fin absolue à notre désir de vie, de relations épanouissantes, de bonheur, nous oblige à nous reposer la question de notre relation à elle. Car, devoir mourir est un des problèmes fondamentaux de l'existence : comment dois-je vivre en sachant que je dois mourir ?
Or, le silence des morts pèse sur les vivants. La mort est une réalité, une des plus assurées pourtant, dont nous n'aimons guère parler. Sentiments confus de gêne, de peur ou d'incertitudes quant à notre sort après la mort nous font préférer taire la mort. Cette angoisse devant la mort est elle-même un mystère : s'il est vrai que tous les êtres vivants sont des " mortels ", que la mortalité fait partie intégrante du processus naturel, nous ne devrions éprouver en face d'elle aucune angoisse. La mort est le terme biologique de toute vie. Un point c'est tout. Mais alors, pourquoi s'angoisser devant cette réalité toute naturelle ? N'est-ce pas plutôt que nous éprouvons, secrètement, que nous ne sommes pas faits pour la mort ? N'y aurait-il pas en nous un désir de sens et de plénitude qui ne peut être comblé par une fin aussi irrévocable que la mort ?
Un philosophe français, Gabriel Marcel, a magnifiquement exprimé ce désir, lorsqu'il écrivait : " Aimer un être, c'est lui dire : toi, tu ne mourras pas ". Bien sûr, ce mot, " tu ne mourras pas ", les faits le démentiront puisque chacun doit mourir. De ce point de vue, il s'agit peut-être de se faire consciemment illusion à soi-même. Mais de l'autre côté, il est vrai que celui qui aime a le droit et le devoir d'espérer que la fidélité de son amour est plus grande que les faits, plus forte que mort. Ce " tu ne mourras pas " - et avec lui l'amour qui parle ainsi - n'est certes pas possible si la finitude et la mort ont le dernier mot. Mais n'est-il pas davantage vrai quelque part que l'homme aimé n'est pas totalement mort quand la mort l'a saisi puisque c'est au nom de cette même fidélité que chacun de nous se souvient plus fortement en ces jours d'un mari ou d'une épouse, d'un enfant, d'un membre de sa famille ou d'un ami, tous disparus à nos yeux, mais bien vivants dans notre c½ur ? Oui, aimer un être, c'est lui dire : toi, tu ne mourras pas.
Si une telle affirmation n'est pas absurde ou impossible, n'est-ce pas parce que quelqu'un de plus grand que notre c½ur ou notre esprit, quelqu'un plus grand que la mort, nous adresse en son Fils ces mots : " Je t'aime, toi, tu ne mourras " ? Tel est bien le sens de ce que nous avons entendu dans l'évangile : " La volonté de mon Père est que tout homme obtienne la vie éternelle ".
Ce désir de ne pas voir mourir l'être aimé, tout simplement parce que nous l'aimons et que la mort ne peut pas être le dernier mot à la fidélité, Dieu notre Père nous en garantit la vérité et la puissance de vie. Oui, quand nous aimons, il y a une force de vie qui transfigure la mort. " Moi, je le ressusciterai au dernier jour ", dit Jésus. Ce n'est pas une illusion ou une vaine promesse. Cette Parole a toute la force de l'amour : " aimer un être, c'est lui dire : toi, tu ne mourras pas ".
Amen.