C’est depuis 2001 qu’à la demande du pape Jean-Paul II l’Eglise catholique romaine célèbre de façon particulière la miséricorde divine le deuxième dimanche de Pâques. Cette dévotion a été inspirée au pape par la vie édifiante de sœur Faustine, une sœur polonaise qui vécut et mourut au début du vingtième siècle. Le pape François a promulgué une année particulière consacrée à la miséricorde divine : ce sera du 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, au 20 décembre 2016.
Mais qu’est-ce que la miséricorde ? C’est qu’en fait la miséricorde divine est toute différente de la miséricorde humaine. Qu’est-ce que la miséricorde humaine ? Imaginons un juge qui a devant lui au tribunal un jeune homme accusé d’avoir fumé un peu de canabis un samedi soir. Et voilà que de façon assez surprenante le juge déclare un non-lieu. Non, le jeune homme ne sera pas poursuivi. Il est pardonné. Sa faute, oubliée. Le juge a fait preuve de miséricorde. Que se passe-t-il ? Peut-être le juge a-t-il passé un bon weekend, peut-être a-t-il gagné au loto, peut-être a-t-il appris la soudaine et inattendue guérison d’un de ses enfants. En tout cas, ce geste est ponctuel : cela arrive une fois, et pas deux. Ce geste est arbitraire : le juge n’a pas appliqué la loi, les accusés précédents ont peut-être été condamnés à de lourdes peines, le juge a eu un caprice. Ce geste est non seulement ponctuel et arbitraire, mais il est aussi isolé : le juge ne reverra plus ce jeune homme. Celui-ci aura-t-il compris la chance qu’il a eu et va-t-il se repentir et ne plus jamais consommer de drogues, ou bien va-t-il retomber dans les mêmes actes de faiblesse qu’auparavant. Nul ne le sait et le juge ne s’en préoccupe pas. Ca, c’est la miséricorde humaine : ponctuelle, arbitraire, isolée.
La miséricorde divine est toute différente : c’est celle qui se manifeste lors du retour du fils prodigue. Le père est là, sur sa tour, en train de guetter le retour de son fils, il en est malade. La miséricorde dans la Bible, c’est quelque chose qui vous prend aux entrailles, comme l’amour d’une mère pour son enfant crucifié sur une croix. C’est toute la personne qui vibre de cet amour douloureux. C’est sans doute pour cela que la Bible grecque utilise ce mot un peu barbare d’amour matricielle. C’est dans ses entrailles que le père souffre quand il voit son fils s’éloigner de lui. Mais cette miséricorde n’est pas d’un instant : c’est depuis des jours, des semaines que le père veille et s’inquiète pour son fils. C’est depuis des siècles que Dieu s’inquiète devant la barbarie humaine. C’est depuis des siècles que Dieu envoie des patriarches, des prophètes et même son Fils pour nous arracher aux horreurs de notre orgueil, de notre vantardise, de nos fanfaronnades. C’est la même miséricorde émue que le Seigneur exprime à Moïse quand il lui dit qu’il a visité son peuple et qu’il a vu dans quel état d’esclavage il était réduit en Egypte. Le Seigneur a vu la misère de son peuple et il a décidé de le sauver.
Et cela me fait penser à la spiritualité de l’ordre religieux que je sers, les dominicains. Chez nous, lorsqu’un jeune homme fait sa demande officielle pour pouvoir entrer dans l’ordre, il se couche sur le ventre devant le supérieur. Celui-ci, confortablement assis, demande au jeune homme : « que cherchez-vous ? ». le candidat répond : « la miséricorde de Dieu et la vôtre ». Et c’est vrai qu’au début de la vie religieuse, les jeunes dominicains pensent qu’ils doivent faire preuve de beaucoup de miséricorde à l’égard de leurs confrères plus anciens. Certes, certains d’entre eux sont de grands saints, mais ils le cachent bien. Mais, au fil des ans, après quelques erreurs et plusieurs échecs nous nous reconnaissons mendiants devant Dieu et devant les autres, mendiants de cette miséricorde divine, de cet amour matriciel, qui nous rend confiance en nous-mêmes, et qui révèle notre véritable dignité, celle d’enfants de Dieu, infiniment dépendants de son amour.
Puissions, au cours de ce dimanche de la miséricorde, reconnaître la puissance créatrice et libératrice de cet amour. Nous pourrons alors, avec tous nos frères et sœurs, chanter les merveilles de cette miséricorde infinie et l’offrir à tous nos proches.