Il faut dire qu'elle avait pris son temps. Elle avait d'abord choisi un endroit agréable pour s'installer puis durant plusieurs heures, voire quelques jours, elle s'est mise à tisser une fort belle toile accrochée de tous côtés aux branches d'un petit buisson. Comme elle aimait la lumière, elle avait souhaité que son oeuvre soit située plein sud. Elle était heureuse de son travail et admirait sa nouvelle demeure. Je dois reconnaître que notre petite araignée des jardins aimait la perfection. Elle s'étonna alors de voir un fil qui venait d'en haut. Comme elle ne voyait pas son utilité et puisqu'elle ne se rappelait pas l'avoir accroché elle-même, elle décida de le sectionner. Sa toile devait être complètement la sienne. Elle ne supportait pas l'idée que quelqu'un d'autre ait pu y participer. En fait, le fil qu'elle coupa, était celui par lequel elle était arrivée là. A l'instant même, sa belle toile perdit l'équilibre et se déchira.
Ce conte de Johannes Joergensen peut illustrer le sentiment qui a traversé les disciples au moment de la mort du Fils. Ils avaient eux aussi perdu le fil qui les reliait à ce dernier. Leur équilibre de vie était tout à coup rompu. Ils étaient comme déchirés au plus profond d'eux-mêmes. Toutefois, cette sensation n'est pas l'apanage des seuls apôtres. En effet, nous aussi nous pouvons vivre ce type d'expérience lorsque nous sommes confrontés à la douleur de la maladie, aux échecs récurrents, à la mort de l'être aimé qui est parti subitement ou bien trop tôt. Nous sommes alors comme déchirés en nous. Notre équilibre est perturbé et nous sommes saisis de vertiges au point de ressentir une profonde chute intérieure. Nous pourrions alors nous aussi être épris de ce sentiment légitime de sectionner le fil qui nous relie à ce Dieu qui nous semble tellement absent, tellement impuissant à transformer le cours des événements que nous traversons. Rompre ce lien risque immanquablement de conduire à une chute et une déchirure plus grandes encore car nous aurons perdu la confiance et surtout l'espérance. Il ne s'agira plus d'une perte d'équilibre mais bien d'un écroulement puisque nous ne serons plus en Dieu. Afin d'éviter de tomber de la sorte, lorsque nous ne sentons plus reliés à la divinité, revisitons l'événement de ce tombeau découvert au matin de Pâques et refaisons-le nôtre. L'apôtre Pierre, lui, fidèle à lui-même et toujours pressé, ne prend pas le temps. Il s'engouffre et regarde, c'est-à-dire il jette son regard sur un lieu qui lui semble bien vide. Il constate l'un ou l'autre détail mais se limitant à la matérialité des faits, il n'entre pas dans le mystère. Il reste extérieur à ce qui se passe. Puis vient l'autre disciple, celui que Jésus aimait. Celui-ci n'est pas nommé mais la tradition le reconnaît comme étant Jean. Une autre tradition par ailleurs propose une interprétation que je trouve tout à fait intéressante. « Le disciple que Jésus aimait » n'est pas désigné dans les Ecritures pour que nous puissions mettre nos pas dans les siens. Dans cette perspective, et si « le disciple que Jésus aimait » était chacune et chacun de nous. Au nom de la foi qui nous habite, nous sommes alors conviés à avancer vers le mystère de la Pâques à notre rythme, en prenant le temps de nous arrêter pour méditer ce qui va au-delà de toute compréhension humaine. Prêts à vivre l'indicible, nous entrons puis nous voyons. Permettez-moi de souligner une fois encore que Pierre, il regardait simplement. Nous nous sommes invités à voir, c'est-à-dire à percevoir l'événement par le sens de la vue et du c½ur car nous ressentons que nous sommes en présence de quelque chose qui nous dépasse. Le tombeau est loin d'être vide. Il est plutôt rempli de la lumière de la Résurrection. Parce que, par notre foi, nous sommes devenus, les disciples que Jésus aimait, nous voyons et nous croyons. Oui, nous croyons que le Fils de Dieu est ressuscité et que par cet événement, il nous fait entrer dans la vie éternelle. Toutefois, reconnaissons-le, parler de la résurrection, c'est entrer dans un monde où tous les mots se mettent à trembler. Parce que la résurrection est le seul mot dont nous ne connaissions rien par définition. Il explose dans un silence qui ne peut s'entendre nulle part ailleurs si ce n'est en Dieu. Par là, nous découvrons que la résurrection n'a rien à voir avec le doute ni avec la certitude. C'est une simple affaire de confiance. En effet, la résurrection ne s'explique pas. Elle est un mystère et comme tout mystère, pour le comprendre, nous devons le vivre. Heureusement pour nous, par l'événement de Pâques, nous avons vu et nous avons cru. S'il en est vraiment ainsi, dès aujourd'hui, vivons avec cette espérance du partage de la vie divine. En pleine confiance, entrons dans le mystère de la résurrection ; ne coupons pas le fil qui nous relie à Dieu car comme le dit le dicton populaire : « il faut le voir pour le croire ».
Amen.