« JE FUS MORT ET JE SUIS VIVANT POUR LES SIÈCLES » (Apoc 1,18)
CHRIST EST RESSUSCITE ! Ce matin les cloches sonnent à toute volée et envoient le message jusqu'au bout du monde. ALLELUIA c.à.d. « Louez Dieu », acclamez sa grandeur, chantez son amour. Non parce que nous sortons de l'hiver et du froid pour passer dans la lumière du printemps, mais, bien plus profondément, parce que Jésus, le Messie, est sorti de l'obscurité du tombeau pour passer dans la Vie transfigurée. Sa Pâque est la promesse de la nôtre. Mieux : elle en est le commencement. Fête du passage, elle est la Bonne Nouvelle, le c½ur de notre foi. Sans Pâques, le christianisme devient une religion, son programme se réduit à une morale, sa mission à une propagande. Et d'ailleurs il n'existerait pas et Jésus serait un inconnu.
« Si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi » écrivait saint Paul aux chrétiens de Corinthe où certains, déjà, doutaient de cette affirmation (1 Cor 15, 14). L'apôtre avouait que lui aussi, jeune pharisien à Jérusalem, il enrageait lorsqu'il apprit que certains de ses compatriotes commençaient à répandre cette nouvelle. Que ce Iéshouah, paysan de Galilée, condamné par le grand tribunal d'Israël et exécuté sur une croix -horreur et ignominie ! - soit affirmé comme vivant, ressuscité, véritable Messie, voilà qui était absolument incroyable, ridicule et blasphématoire. Il fallait arrêter au plus vite cette hérésie. Paul s'élança vers Damas, bien décidé à ramener prisonniers ces idiots qui confessaient pareille ânerie. On connaît la suite : l'homme parti en colère arriva en pleurant, demandant la grâce d'être accueilli dans ce groupe qu'il voulait anéantir. Il était convaincu : il « l' » avait rencontré.
Oui Jésus était vivant, pas réanimé mais ressuscité. Il n'avait pas foudroyé son adversaire : au contraire il s'était révélé à lui comme Seigneur et même comme présent dans ses disciples (« Pourquoi ME persécutes-tu ? ») et en outre, il l'avait embauché pour devenir son apôtre dans toutes les nations. Désormais l'ancien persécuteur qui avait applaudi à la lapidation d'Etienne n'eut plus qu'une passion : annoncer Jésus, le crucifié-ressuscité, et fonder partout des communautés. Rien n'était plus urgent, plus nécessaire pour l'avenir du monde. Après 20 siècles, la communauté chrétienne de Corinthe existe toujours et continue à chanter comme en ses premiers jours : « Xristos anèsti...CHRIST EST VIVANT ALLELUIA ».
Certains expriment encore leurs soupçons : « Ne serait-ce pas l'invention des apôtres qui, déçus et écrasés par la crucifixion de leur maître, auraient inventé cette légende ? ». Mais en ce cas, ces hommes se seraient arrangés pour émettre des récits identiques. Or les finales des évangiles sont loin de concorder. Marc, le premier à publier un livret, le termine en disant que les femmes, en ce matin, ont découvert un tombeau vide, y ont reçu le message que Jésus vivait et qu'il fallait l'annoncer aux apôtres : or, dit-il, « tremblantes et bouleversées, elles ne dirent rien à personne tellement elles avaient peur ». (Marc 16, 8).
Il n'est pas si simple de rendre compte de la Résurrection : ne nous étonnons pas de nos doutes et de nos difficultés à exprimer ce message.
En outre, en ce temps-là, commencer à croire en Jésus Seigneur vivant était une démarche douloureuse et périlleuse. La conversion entraînait des ruptures familiales : parents et enfants, frères et s½urs se disputaient, se séparaient, se dénonçaient parfois. Le converti était l'objet de sarcasmes de la part des voisins, chassé de la synagogue, suspect aux yeux du Pouvoir impérial qui espionnait cette « superstition » nouvelle. Il voyait parfois sa carrière brisée, il devait comparaître devant le tribunal, parfois expédié en prison, parfois même condamné à mort. Un jour on apprenait que Pierre avait été crucifié à Rome, que d'autres disciples avec lui, enduits de poix, avaient brûlé comme des torches, sur ordre de Néron, un autre jour que Paul avait été décapité. Mais rien n'arrêtait l'expansion de la foi : puisque Jésus avait traversé la mort pour entrer dans la Vie, nous aussi, les croyants, nous participerons à sa victoire.
C'est ainsi que Paul, en prison, pressentant qu'on va sans doute le condamner à mort, écrit à sa communauté effrayée par cette issue : « Maintenant comme toujours le Christ sera exalté en mon corps, soit par ma vie soit par ma mort. Car pour moi, vivre c'est le Christ et mourir m'est un gain......J'ai le désir de m'en aller et d'être avec le Christ » (Phil 1, 20-23).
Les premiers chrétiens n'envisageaient pas de devenir une Eglise imposante, d'édifier partout des monuments, d'être reconnus comme bienfaiteurs de l'humanité, de prendre le pouvoir pour imposer leurs croyances. Et d'autre part ils ne fuyaient pas le monde : ils se mariaient, élevaient leurs enfants, exerçaient leurs professions, accomplissaient leurs devoirs civiques (sauf adorer la statue de l'Empereur).
Ils ne rêvaient pas d'une apparition de Jésus : les Apôtres leur avaient appris que c'était eux qui devaient être cette apparition. En effet jamais leur foi n'était une opinion cachée, individuelle : partout, à Rome comme à Corinthe, en Syrie comme en Egypte, ils formaient des communautés où l'on partageait, entre frères et s½urs, ses joies et ses peines, ses angoisses et ses soucis. Certes cet idéal de la charité - commandement essentiel du Maître- n'était pas facile à vivre et toutes les lettres des apôtres montrent combien il fallait sans cesse exhorter les baptisés à demeurer ensemble.
C'était bien Pâques qui créait et maintenait leur communion. Aussi, très vite, on décida de célébrer la fête non chaque année à la première lune de printemps (comme la Pâque juive) mais bien chaque semaine, chaque lendemain du sabbat, jour où, pour la première fois, des femmes et des hommes avaient expérimenté que Jésus était ressuscité.
En ce jour appelé « Jour du Seigneur » - en latin « domenica dies » - en français « DIMANCHE », les baptisés se réunissaient pour écouter les enseignements des apôtres : ils discutaient, comme les disciples d'Emmaüs, afin de mieux comprendre la volonté du Seigneur et assurer leur foi. Puis ils partageaient le Pain de Vie (non des hosties individuelles mais une galette fractionnée) car Jésus avait dit : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jean 6, 34).
Comme le corps du Christ était sorti vivant du tombeau, eux-mêmes sortaient de la prison de leurs péchés pour se dresser en un seul Corps, l'Eglise, communauté des vivants. Comme les rabbins le disent à propos du sabbat, on peut dire que si les chrétiens ont gardé le dimanche, c'est le dimanche qui les a gardés.
Environ 50 ans après la mort de saint Paul, un certain Pline le jeune, proconsul de la province du Pont-Bithynie (au nord-ouest de la Turquie actuelle) écrivit à Trajan, empereur de Rome de 98 à 117, une lettre qui est devenue célèbre. Il y exprime son embarras de se trouver devant des prisonniers qu'on avait dénoncés comme « chrétiens ». J'ai fait condamner, dit-il, ceux qui s'obstinaient dans leur croyance et relâché certains qui acceptaient d'adorer les statues des dieux et d'insulter le nom du Christ. Pline interroge ses prisonniers sur leur croyance : ils ont, dit-il, « l'habitude de se réunir à des jours déterminés et avant le lever du soleil, à chanter tout à tour un hymne à la gloire du Christ comme s'il eût été un dieu ». Puis « ils se retrouvent pour prendre quelque nourriture parfaitement ordinaire et innocente ». Dans l'interrogatoire, « je n'ai trouvé que superstition folle et démesurée ».
Et il termine : « Cette contagion de superstition s'est répandue dans les villages et jusque dans les campagnes. Cependant il me semble possible d'y mettre un frein puis de s'en guérir » (cf. Pline le Jeune : « Correspondance » - éd. 10 / 18 ; Lettre 95, p. 451).
Oui ces premiers chrétiens n'avaient d'autre crime que d'adorer le Christ comme Dieu, de chanter sa gloire, de mener une vie morale irréprochable, et de partager une « nourriture innocente », l'Eucharistie. Et toute la puissance de l'Empire romain et les dictatures qui ont sévi dans l'histoire, rien n'a pu « mettre un frein » à la foi en Christ vivant et au partage, dans la joie, de son Pain eucharistique.
Car le Christ Vivant demeure dans ses frères et s½urs et lorsqu'on les met en croix, ils sont sûrs de lui ressembler et de le rejoindre dans la Vie éternelle où ils seront toujours avec lui (S. Paul).
A partir de ce dimanche jusqu'à la Pentecôte, période appelée jadis « LE GRAND DIMANCHE », nous avons 50 jours pour méditer le mystère et en déduire la vie en Eglise pour notre temps.
Pâques n'est pas une foi anodine et tous les pouvoirs craignent ceux qui la confessent et qui, aujourd'hui encore, dans toutes les langues, continuent à chanter ALLELUIA CHRIST EST RESSUSCITE.
Dimanche de Pâques
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps de Pâques
- Année liturgique : A, B, C
- Année: 2012-2013